« La différence entre le suspense et la surprise est très simple, et j’en parle très souvent. Pourtant il y a fréquemment une confusion, dans les films, entre les deux notions. Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d’un coup : boum, explosion. Le public est surpris, mais, avant qu’il ne l’ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d’intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l’anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart - il y a une horloge dans le décor; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène. Il a envie de dire aux personnages qui sont sur l’écran : « Vous ne devriez pas raconter des choses si banales, il y a une bombe sous la table, et elle va bientôt exploser. » Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l’explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense. La conclusion de cela est qu’il faut informer le public chaque fois qu’on le peut, sauf quand la surprise est un twist, c’est-à-dire lorsque l’inattendu de la conclusion constitue le sel de l’anecdote. »
Alfred Hitchcock à François Truffaut.


Le point hypertextuel que nous allons maintenant aborder concernera la mise en scène et le montage purs, et ne mettra jamais en question les thématiques ni les univers diégétiques des deux auteurs. Nous allons tenter de démontrer que l’oeuvre d’Alfred Hitchcock n’est pas uniquement un hypotexte narratif, venant imprégner les récits de palmiens, mais qu’elle est également à la source d’une grande partie de la stylistique du réalisateur de Carlito’s way. Autrement dit, nous allons analyser, de manière comparée, les deux mises en scène, ayant choisi au préalable un point précis : il s’agit de la mise en scène du suspense. Ce point n’a bien évidemment pas été choisi au hasard, Hitchcock et De Palma étant deux coutumiers du fait, basant la quasi totalité de leurs oeuvres sur ce facteur. Nous avons délibérément opté pour un choix de deux séquences radicalement différentes d’un point de vue diégétique dans le but d’analyser ici une hypertextualité stylistique, une manière d’écrire et non un suspense lié à une situation commune. Le choix des deux films relève de cette même décision. Il s’agit de Dial M for Murder et de Raising Cain.


DECOUPAGE DE LA SEQUENCE DE DIAL M FOR MURDER.

Le découpage débute après que Tony ait engagé Lesgate pour assassiner sa femme. Lesgate est censé pénétrer dans l’appartement des Wendice, attendre que Tony, qui est au restaurant avec des amis, téléphone à onze heures précises afin que Margot se lève pour décrocher et que Lesgate en profite pour l’assassiner. Nous débutons le découpage alors que Lesgate s’apprête à pénétrer chez les Wendice.

. Plan 1 : Gros plan de la serrure de la porte, cadré de l’intérieur de l’appartement. La porte s’ouvre.
. Plan 2 : Plan rapproché de Margot, au lit. Elle dort.
. Plan 3 : Plan d’ensemble de l’appartement. Lesgate entre, inspecte les lieux, avance jusqu’au bureau, puis regarde en direction de la chambre de Margot.
. Plan 4 : Plan de demi-ensemble montrant la porte de la chambre fermée.
. Plan 5 : Plan moyen de Lesgate, allant se cacher derrière le rideau. Il regarde sa montre.
. Plan 6 : Très gros plan de sa montre qui indique 10h58.
. Plan 7 : Idem plan 5. Lesgate se cache derrière les rideaux, préparant l’arme du crime.
. Plan 8 : Plan d’ensemble du restaurant où dîne Tony Wendice en compagnie de ses amis.
. Plan 9 : Idem, plus rapproché. Tony semble inquiet.
. Plan 10 : Idem, encore plus rapproché. Tony regarde sa montre.
. Plan 11 : Très gros plan de sa montre qui indique 10h40.
. Plan 12 : Idem plan 10.
. Plan 13 : Plan de Lesgate caché derrière le rideau. Il surgit, inquiet que le téléphone ne sonne pas, regarde encore sa montre et jette un oeil en direction du téléphone. Le plan se clos sur un léger panoramique droit montrant le téléphone.
. Plan 14 : Idem plan 9. Tony regarde sa montre à nouveau.
. Plan 15 : Idem plan 11. Elle indique toujours 10h40.
. Plan 16 : Idem plan 14. Tony demande l’heure autour de lui. On lui répond 11h07 ou 11 heures précises. Il s’absente, prétextant un coup de téléphone à son patron.
. Plan 17 : Plan d’ensemble montrant Lesgate prêt à quitter l’appartement puisque le téléphone ne sonne pas.
. Plan 18 : Plan d’ensemble du hall de l’hôtel. Tony se dirige vers le téléphone, qui est occupé. L’homme raccroche, Tony pénètre dans la cabine.
. Plan 19 : Plan rapproché de Tony dans la cabine. Il insère deux pièces.
. Plan 20 : Très gros plan de la touche 6 (accompagné des lettres M et N) du cadran du téléphone. Le doigt de Tony s’en approche. (Ce seul plan donne son titre au film : Dial M for Murder).
. Plan 21 : Idem plan 19. Tony compose le numéro.
. Plan 22 : Plan ‘expérimental’ du mécanisme téléphonique en action.
. Plan 23 : Plan moyen de Lesgate sortant de l’appartement. Le téléphone sonne, il s’arrête et se retourne.
. Plan 24 : Plan rapproché du bas de la porte de Margot. La lumière s’allume.
. Plan 25 : Plan rapproché de Margot. Elle se lève et sort de sa chambre. La caméra l’accompagne.
. Plan 26 : Plan d’ensemble du salon que Margot traverse pour répondre au téléphone.
. Plan 27 : Plan rapproché de face de Margot décrochant le téléphone. Personne ne répond. La caméra pivote jusqu’à cadrer Margot de dos. Nous voyons apparaître les deux bras de l’assassin serrant le bas.
. Plan 28 : Plan rapproché des deux personnages. Lesgate attend que Margot raccroche pour la tuer. Il hésite plusieurs fois.
. Plan 29 : Plan rapproché de Tony dans la cabine téléphonique.
. Plan 30 : Idem plan 28. Margot raccroche et Lesgate l’étrangle.
. Plan 31 : Même action mais le plan est cadré de profil.
. Plan 32 : Idem plan 29.
. Plan 33 : Plan plus large des deux personnages luttant. Lesgate allonge Margot sur le bureau pour pouvoir la tuer plus aisément.
. Plan 34 : Gros plan du visage de Margot et des mains de l’assassin.
. Plan 35 : Plan des jambes de Margot se débattant.
. Plan 36 : Idem plan 32. Tony ferme les yeux d’horreur.
. Plan 37 : Idem plan 34.
. Plan 38 : Plan rapproché montrant les deux personnages sur le bureau. La caméra est derrière le bureau et Margot tend désespérément la main en notre direction. Elle cherche un objet sur le bureau, trouve une paire de ciseaux qu’elle plante dans le dos de son agresseur qui se redresse, foudroyé, avant de retomber sur elle.
. Plan 39 : Plan d’ensemble. Lesgate se dresse à nouveau, Margot s’écroule.
. Plan 40 : Plan rapproché de Lesgate agonisant.
. Plan 41 : Plan rapproché de Margot toujours vivante.
. Plan 42 : Idem plan 40.
. Plan 43 : Gros plan du visage de Margot qui détourne la tête.
. Plan 44 : Idem plan 40. Lesgate tombe au sol, enfonçant plus encore la paire de ciseaux dans son dos.
. Plan 45 : Gros plan poursuivant la même action. Le ciseau s’enfonce.
. Plan 46 : Idem plan 36. Tony écoute, se demandant si tout se déroule comme il l’avait calculé.
. Plan 47 : Plan de demi-ensemble présentant le cadavre au premier plan, Margot au second plan contre le bureau. Elle se redresse, prend le téléphone en suppliant son interlocuteur inconnu d’appeler la police.
. Plan 48 : Idem plan 46. Tony enclenche le mécanisme du téléphone pour pouvoir répondre.
. Plan 49 : Idem plan 47. Elle se redresse en demandant à son mari, qui s’est identifié, de rentrer d’urgence.
. Plan 50 : Idem plan 48 : Margot lui annonce la mort de l’homme, donc l’échec de son complot.

Nous arrêtons le découpage ici, bien que la séquence ne soit pas terminée, puisque aucun élément de suspense ne vient s’y rajouter.


DECOUPAGE DE LA SEQUENCE DE RAISING CAIN.

La séquence analysée se situe en début de film. Carter rencontre une amie de sa femme au jardin d’enfants (ils sont tous deux accompagnés de leur bambin respectif), et celle-ci le raccompagne en voiture. Carter et son père, le docteur Nix, se livrent à d’étranges expériences sur les comportements enfantins en Scandinavie, où, dit-il, il emmènera bientôt sa fille. Il souhaite également emmener Sam, le fils de Karen, et celle-ci s’y oppose. Le découpage débute alors que Carter ne cesse d’éternuer, préparant déjà son coup.


. Plan 1 : Plan rapproché de Carter et Karen dans la voiture. Carter éternue et envoie une poudre dans les yeux de Karen, l’aveuglant momentanément.
. Plan 2 : Plan large de la route. Carter, tenant le volant, range tant bien que mal la voiture sur le bas côté.
. Plan 3 : Plan rapproché des deux personnages dans la voiture qui s’immobilise.
. Plan 4 : Gros plan du visage de Carter qui regarde devant lui pour s’assurer qu’aucun danger ne vient.
. Plan 5 : Point de vue de Carter : la route déserte vue à travers le pare-brise.
. Plan 6 : Idem plan 4. Il se retourne vers Karen.
. Plan 7 : Gros plan du visage de Karen, les yeux plissés. Carter fait mine de lui enlever une poussière.
. Plan 8 : Idem plan 4. Il regarde devant et derrière.
. Plan 9 : Plan rapproché des deux enfants dormant à l’arrière du véhicule, ainsi que de la route déserte.
. Plan 10 : Idem plan 6.
. Plan 11 : Idem plan 7.
. Plan 12 : Idem plan 10. Carter cherche un soi-disant Kleenex dans sa poche.
. Plan 13 : Gros plan de sa poche. Il en extrait un flacon de chloroforme et un mouchoir.
. Plan 14 : Idem plan 11.
. Plan 15 : Idem plan 12. Il s’affole un peu.
. Plan 16 : Idem plan 14.
. Plan 17 : Idem plan 15.
. Plan 18 : Idem plan 13. Il verse du chloroforme sur le mouchoir.
. Plan 19 : Idem plan 17.
. Plan 20 : Idem plan 18. Le mouchoir est entièrement imbibé.
. Plan 21 : Idem plan 16. Carter lui plaque le mouchoir sur le visage.
. Plan 22 : Idem plan 3. Karen tente de se débattre.
. Plan 23 : Idem plan 21. Ils luttent.
. Plan 24 : Gros plan de Carter qui blottit le visage de Karen contre lui.
. Plan 25 : Gros plan du visage de Karen recouvert du mouchoir.
. Plan 26 : Plan rapproché des deux personnages de dos. Carter se retourne.
. Plan 27 : Idem plan 9. Les enfants dorment toujours, la route est toujours déserte.
. Plan 28 : Idem plan 26. Carter regarde au loin.
. Plan 29 : Idem plan 27. Les silhouettes de deux coureurs apparaissent au loin. La caméra zoome légèrement sur eux.
. Plan 30 : Idem plan 28. Carter est affolé. Il regarde en direction de sa fille.
. Plan 31 : Gros plan de la petite Amy. Elle bouge.
. Plan 32 : Idem plan 30. Il regarde à nouveau dans la direction des coureurs.
. Plan 33 : Poursuite du zoom sur les coureurs.
. Plan 34 : Plan rapproché de Carter et de Karen blottie contre lui.
. Plan 35 : Idem plan 32.
. Plan 36 : Idem plan 33.
. Plan 37 : Idem plan 35. Il regarde Amy.
. Plan 38 : Idem plan 31. Elle ouvre les yeux.
. Plan 39 : Idem plan 37.
. Plan 40 : Idem plan 36. Les coureurs se rapprochent de plus en plus.
. Plan 41 : Idem plan 39. Il regarde Karen.
. Plan 42 : Idem plan 34. Il la repose sur son siège.
. Plan 43 : Gros plan du visage de Karen, calée contre son siège.
. Plan 44 : Gros plan du visage de Carter affolé.
. Plan 45 : Plan rapproché des deux personnages. Le corps de Karen tombe en avant.
. Plan 46 : Gros plan de la tête de Karen tombant sur le klaxon qu’elle déclenche.
. Plan 47 : Idem plan 44. Il hurle d’affolement.
. Plan 48 : Plongée sur la tête de Karen posée sur le klaxon.
. Plan 49 : Gros plan de Carter de dos qui se retourne.
. Plan 50 : Idem plan 38. Amy est réveillée.
. Plan 51 : Idem plan 49. Carter voit les coureurs à proximité.
. Plan 52 : Plan des deux coureurs avançant. Ils sont maintenant très proches de la voiture.
. Plan 53 : Idem plan 47.
. Plan 54 : Idem plan 52. Les deux sportifs se rapprochent de plus en plus.
. Plan 55 : Gros plan idem plan 53. Carter est au bord des larmes et se blottit contre Karen.
. Plan 56 : Les deux coureurs sont maintenant à hauteur de la voiture.
. Plan 57 : Idem plan 55 encore plus resserré.
. Plan 58 : Idem plan 56. Ils regardent à l’intérieur de la voiture.
. Plan 59 : Idem plan 57. Carter ouvre de grands yeux entendant un rire sur sa droite.
. Plan 60 : Plan rapproché de Carter se retournant là d’où provient le rire.
. Plan 61 : Plan rapproché de Cain à la fenêtre de la voiture. Il dit à Carter d’embrasser Karen.
. Plan 62 : Idem plan 60.
. Plan 63 : Idem plan 58. Ils sont encore plus proches.
. Plan 64 : Idem plan 62. Carter redresse le visage de Karen et l’embrasse.
. Plan 65 : Idem plan 63. Les sportifs regardent le couple dans la voiture avec un sourire complice et continuent leur chemin.
. Plan 66 : Gros plan du visage de Carter qui, tout en embrassant Karen suit les deux coureurs du regard.
. Plan 67 : Poursuite du mouvement du plan 65. Ils se remettent à courir et partent.
. Plan 68 : Idem plan 50. Amy se rendort.
. Plan 69 : Plan rapproché du visage de Carter soulagé et de Karen qu’il relâche.

La séquence se poursuit également mais ne contient plus aucun élément de suspense.


C’est donc volontairement que nous avons choisi d’isoler deux séquences aux contenus diégétiques différents. Nous ne voulions pas sélectionner deux extraits présentant, en plus de l’hypertextualité propre à la mise en scène du suspense, des similitudes thématiques, car celles-ci nous auraient forcement influencer durant l’analyse. En effet, si les deux séquences avaient été, par exemple, la scène de douche de Psycho et une scène de douche quelconque de l’oeuvre de De Palma, nous aurions été tenté, et cela même de manière inconsciente, de faire reposer l’analyse tant sur des caractéristiques thématiques que stylistiques, opération qui nous aurait inévitablement éloigné de notre propos. Néanmoins, ces deux extraits tournent autour de la tentative de supprimer (même momentanément) une femme de manière préméditée.

Nous allons mener cette analyse en suivant deux axes qui nous semblent majeurs ainsi qu’évidents, aussi bien pour ces deux séquences que pour toute scène de ‘véritable suspense’ (et non de surprise). Le but de cette étude sera de montrer comment le suspense est mis en scène, dans les grandes lignes, mais surtout de montrer en quoi le suspense de palmien est hypertextuel (de l’hitchcockien bien entendu). La première de nos deux lignes directrices portera sur la construction de l’espace diégétique propre au suspense et du soin que prend le metteur en scène à informer le spectateur de chacun des éléments rentrant en compte dans cette construction. Le deuxième point portera sur le temps, et toutes les dilatations et distorsions qu’un metteur en scène ‘de suspense’ peut lui faire subir.

L’espace diégétique d’une scène de suspense est, cela semble presque une évidence, construit de manière rigoureuse et minutieuse. Chaque élément est disposé, parfois longtemps à l’avance, dans le but de servir une cause finale, le suspense. Voyons dans un premier temps de quelle manière est construit l’espace dans l’extrait de Dial M for Murder. La première caractéristique est qu’il est divisé en deux. L’assassinat étant commandité par une tierce personne, le mari, celle-ci s’est écartée des lieux pouvant ainsi tirer les ficelles - donner un coup de téléphone - en toute tranquillité et sans éveiller les soupçons. Le restaurant dans lequel il attend n’est montré par Hitchcock que par parcelles (il disait lui-même qu’il ne fallait jamais montrer la totalité d’un espace tant que la mise en scène ne l’exigeait pas) et, au moyen de trois plans seulement (8, 9, 10), Hitchcock a aussitôt fait d’isoler parfaitement Tony de son environnement. Le premier plan (8) est assez large mais il se resserre immédiatement, et à deux reprises, sur le personnage angoissé (9, 10) rendant son inquiétude, et surtout son attente encore plus oppressantes. Lorsque Tony se lève pour téléphoner, le seul cadre qui nous est montré est un long couloir s’intercalant entre la salle de restauration et la cabine téléphonique. La caméra semble reculer légèrement (par un effet de dézoomage) mais uniquement dans la verticale, présentant le couloir sans échappatoire possible. L’univers de la cabine téléphonique est encore plus oppressant; Tony est simplement enfermé dans une cage. Toute la construction de l’espace de cette scène de restaurant est donc faite pour que le personnage se sente emprisonné (dans les lieux comme dans les plans). Autrement dit, il n’a plus aucune issue, la machination est lancée, elle doit suivre son cours, tous les éléments y participent activement, poussant irrémédiablement Tony à donner le coup de téléphone qui entraînera la mort de sa femme.

L’appartement des Wendice est présenté dans l’obscurité, mais le spectateur le connaissant déjà, peut anticiper ou du moins deviner chacun des mouvements de Lesgate parmi cet univers. Là encore l’espace est défini selon des caractères précis. La séquence s’ouvre sur un gros plan de la serrure (nous pénétrons tant physiquement que diégétiquement sur le (futur) lieu du crime, puis établit immédiatement deux points de chute, vers lesquels convergent toutes les attentions : la chambre de Margot où est tapie la proie, et la cachette, où va se dissimuler le prédateur. Il y a bien une attention particulière de la part d’Hitchcock à isoler ces deux parties de l’appartement afin de les ériger en centres - géographiques - d’intérêt. Cette même focalisation se produira sur la porte d’entrée (ici de sortie) de l’appartement, lorsque Lesgate sera sur le point de fuir, la sonnerie du téléphone ne retentissant pas.

La séquence de Raising Cain se présente sur des bases spatiales antinomiques puisque l’espace dans lequel évoluent les personnages est un espace fermé aux dimensions réduites : une voiture. La fonction d’une voiture est de rouler, de faire se déplacer les gens qui l’habitent et c’est pour cette raison que Carter va l’immobiliser dès qu’il en aura la possibilité, juste après avoir aveuglé Karen. Il est ici le metteur en scène de la situation et il a besoin de maîtriser l’espace pour pouvoir agir. Il immobilise donc le chauffeur, puis son véhicule. Tout le suspense de cette séquence va être créé par le décalage que va opérer Brian De Palma entre le temps et l’espace. Il va dilater la première de ces données, ce qui va créer un conflit entre elles, elles ne vont plus correspondre et c’est cette séparation entre deux données qui habituellement fonctionnent de paire qui va être génératrice d’un climat de suspense. Nous y reviendrons plus profondément lorsque nous aborderons le temps dans la séquence, contentons nous pour l’instant d’en considérer les caractéristiques spatiales. Alors que Carter réalise ses méfaits, son visage ne va cesser de pivoter aux quatre points cardinaux, à la manière d’une caméra. C’est évidemment la peur de se faire prendre qui le fait agir de la sorte, mais c’est cette attitude qui fait de l’espace diégétique un espace propre au suspense. Nous sont donc présentés à tour de rôle, à grande vitesse et de manière répétitive : l’avant de la voiture et la route déserte, l’arrière de la voiture combinant deux éléments source de danger (les enfants sur le point de se réveiller et la route sur laquelle vont apparaître les coureurs), la gauche de Carter où se situe Karen et où vont parvenir les sportifs, et sa droite (sur la fin uniquement) où apparaîtra Cain. L’espace environnant est constamment pris en considération par le protagoniste et cette attention soutenue déteint automatiquement sur le spectateur se sentant impliqué physiquement dans l’espace de cette séquence.

Le premier élément s’avérant évident dans les deux cas analysés, est le soin tout particulier apporté par le metteur en scène à définir précisément l’espace, non seulement dans ses caractéristiques géographiques mais surtout par le contenu diégétique que celui-ci peut dégager s’il est décrit de la sorte. Hitchcock et De Palma ne filment jamais d’espaces quelconques. Pour contribuer à la création de suspense, il faut que tout ait un sens, que chacun des éléments soit pris en considération. Même si l’utilisation de l’espace est différente dans les deux exemples (c’est ce que nous voulions) les deux cinéastes ont en commun la manière de l’appréhender, de le cerner pour que celui-ci ne remplisse pas la fonction de simple décor mais qu’il participe activement au récit.

Il est un autre stigmate, révélateur de la notion de suspense dans une mise en scène : il s’agit de l’utilisation du gros plan. S’il est évident que celui-ci relève de la considération de l’espace au cinéma (réaliser un gros plan correspond à isoler une partie de l’espace), ce phénomène est récurrent dans les oeuvres respectives d’Hitchcock et de De Palma, et précisément ici, au sein de ces deux séquences issues de Dial M for Murder et Raising Cain.

L’extrait de Dial M for Murder s’ouvre sur un gros plan, présentant la serrure de la porte d’entrée. L’isoler de la sorte contribue à fixer des enjeux narratifs forts. Ce plan symbolise l’entrée dans cet espace fermé où va se dérouler le crime, insistant fortement sur le fait que cet espace est clos (par cette porte justement). Si Lesgate tente pourtant de s’enfuir, il est immédiatement happé de nouveau dans l’appartement par un élément provenant de l’extérieur, la sonnerie de téléphone qui tardait à retentir.

Les gros plans de montres rythment la scène (c’est d’ailleurs une récurrence, au même titre que les plans d’horloge dans la filmographie d’Hitchcock, dans la filmographie de De Palma et par extension dans grand nombre de scènes de suspense) et c’est en grande partie par leur biais que va se construire le suspense. Ce décalage entre les deux personnages, le fait qu’ils ne vivent pas sur le même temps, puisque la montre de l’un s’est arrêtée, est l’un des facteurs primordiaux du suspense de cette séquence. Nous y reviendrons lorsque nous en étudierons le temps.

La scène du restaurant que nous avons analysée plus haut contribue à cette logique, même si elle ne présente pas de véritable gros plan. Le resserrement sur le personnage de Tony par trois plans courts et consécutifs l’isole néanmoins comme pourrait le faire un gros plan ‘classique’.

Le gros plan le plus accentué de cette séquence est sans doute possible celui de la touche 6 du téléphone. Si celui-ci, comme nous l’avons vu, justifie le titre du film, il déclenche également le mécanisme de la scène. L’insistance d’Hitchcock n’est donc pas gratuite, ce gros plan est chargé de significations toutes particulières, et la tension est, chez le spectateur, maximale à cet instant.

Cet outil de mise en scène sera bien entendu utilisé lors de la mort de Lesgate, afin d’insister sur le couteau s’enfonçant en celui qui était censé être l’instrument que Tony utilisait pour supprimer sa femme. Le gros plan est bien l’un des facteurs créant le suspense puisqu’il consiste à retenir l’attention du spectateur sur un détail précis, que celui-ci soit déjà en sa connaissance ou non. Il procède en isolant des portions d’espace ou des éléments diégétiques déterminés et, dans un cadre de suspense, rend le spectateur actif en lui donnant l’illusion de pouvoir activer ou interrompre le cours des choses.

Les gros plans de la séquence de Raising Cain sont quant à eux principalement cadrés sur les visages des acteurs. Si le suspense de la séquence hitchcockienne repose principalement sur des objets (deux montres, deux téléphones, un bas, une paire de ciseaux, et caetera), celui de De Palma repose ici essentiellement sur les personnages (Carter, Cain, Karen, les deux enfants et les deux coureurs) et les diverses menaces qu’ils peuvent représenter. Les gros plans vont donc naturellement s’axer sur les visages, puisque ce sont eux qui sont chargés de tension et qui sont générateurs du suspense. Le seul gros plan concernant un objet est celui réalisé sur le flacon de chloroforme, ce dernier étant le moteur de la séquence, et déclenchant l’évanouissement de Karen, donc l’affolement de Carter et par conséquent les grandes lignes de suspense. Les gros plans montrant des visages sont quasiment tous cadrés sur celui de Carter, véritable centre de gravité de la scène. Il est la cause du dérèglement et subit de ce fait toutes les pressions venant de l’extérieur (enfants, coureurs, klaxon). Il apparaît comme une girouette installée entre les quatre points cardinaux, et les gros plans ne cessent de le montrer tourner la tête dans toutes les directions. Ce détail créé une véritable tension puisque le spectateur tente d’anticiper et d’imaginer le danger qui se présente dès que Carter incline la tête d’un côté. La plupart de ces gros plans a pour but de retarder l’action, de créer un climat d’angoisse dans l’attente de ce qui va être montré. Plus l’attente est longue et plus l’effet de suspense s’accroît.

L’utilisation d’un gros plan dans une scène de suspense a donc une double finalité. Il agit premièrement sur l’espace en le morcelant, le découpant en compartiments et c’est soit ce qui est montré (les montres des deux acteurs de Dial M for Murder par exemple), soit ce qui n’est volontairement pas (ou pas encore) montré - le hors-champ (tout ce qui va être soumis au regard de Carter avant que le spectateur n’en prenne connaissance) - qui engendre le suspense. La seconde finalité est d’ordre temporelle puisque les gros plans génèrent, dans les exemples que nous étudions en tous cas, une attente et un climat d’insécurité. Lorsque le réalisateur insère un gros plan il omet délibérément pendant la durée de ce plan de montrer ce qu’il se passe alentours.

Le temps est la condition sine qua non de l’existence du suspense dans quelconque scène relevant de ce genre. Créer du suspense signifie forcément jouer avec le temps du récit. Dans Dial M for Murder, Hitchcock fixe des bases originales et redoutablement efficaces pour démontrer ce point de vue : les deux protagonistes évoluent dans des temps différents. Si Lesgate est le personnage ancré dans un temps que nous pourrions qualifier de ‘réel’ (il arrive même en avance à l’appartement), Tony est ancré dans un univers où le temps n’évolue plus, tout simplement parce que sa montre s’est arrêtée. Ce simple détail entraîne des conséquences redoutables et c’est le fait que les deux personnages ne soient pas en parfait accord temporel qui génère le trouble et le suspense. En effet, Lesgate est ‘en accord’ avec le temps mais le problème vient du fait que Tony croit l’être également. Lorsque il regarde sa montre et qu’il est 10h40, Tony semble être dans le temps présent. L’effet de suspense généré par Hitchcock naît de la présentation quasi simultanée des deux montres aux heures différentes. Le spectateur hitchcockien est souvent un spectateur omniscient. Il est en situation de privilégié par rapport au personnage car il dispose de plus d’informations que ce dernier. C’est l’un des principes du suspense hitchcockien : offrir au spectateur des clefs dont le personnage ne dispose pas. A propos de Young and Innocent , film de la période anglaise de 1937, Hitchcock donnait « l’exemple d’un principe de suspense » : « Il s’agit de donner au public une information que les personnages de l’histoire ne connaissent pas encore; grâce à ce principe, le public en sait plus long que les héros et il peut se poser avec plus d’intensité la question : « Comment la situation va-t-elle pouvoir se résoudre? » » C’est précisément ce qu’il nous est donné à voir ici, mais de manière plus complexe encore puisque cette technique de suspense est mêlée au jeu sur le temps. Nous avons le privilège d’être informé de ce décalage de vingt minutes, et lorsque Tony demande l’heure à ses amis s’inquiétant de l’immobilité des aiguilles de sa montre, l’assemblée représente quelque peu le public, au courant de l’heure véritable et où chacun donnera sa version (11h00, 11h07).

Comment rattraper le temps perdu? Même le fait de se ruer à la cabine téléphonique ne changera rien puisque le metteur en scène, puissance suprême, à décidé de ralentir le temps de son personnage Tony. La cabine est en effet occupée lorsqu’il s’y présente et ces quelques secondes d’attente interminables accentuent encore l’écart temporel déjà créé entre les deux personnages, à tel point que Lesgate s’apprête à quitter l’appartement. Ce dernier est resté ancré dans un temps narratif linéaire qui ne correspond forcément pas à celui de Tony. Lorsque la sonnerie du téléphone retentira dans l’appartement, celle-ci aura pour fonction, en plus de prévenir Lesgate, d’opérer une jonction entre ces deux temps qui jusqu’à présent fonctionnaient indépendamment l’un de l’autre (chacun croyait être en accord avec le temps présent). Hitchcock prend naturellement un malin plaisir à retarder encore cet instant de jonction en insérant un plan expérimental du mécanisme téléphonique. Ce plan opère un nouveau ralentissement de l’action et pousse le suspense à son paroxysme puisque, en plus de placer le spectateur dans un climat d’attente à la limite du supportable, celui-ci nous indique clairement que la machination, que la mort de Margot, se met en route de manière inexorable, mécanique. Le plan de Tony est construit avec un tel machiavélisme que celui-ci fonctionne - est censé fonctionné - à la manière d’une machine. Mais l’un des engrenages a sauté, tous les rouages du plan ne vont pas s’enchaîner à cause d’un défaut de fonctionnement, le décalage temporel. Même si ce n’est pas évoqué de manière explicite, on ne nous dit jamais que Lesgate manque son acte à cause de ce léger décalage horaire, celui-ci est certainement l’élément perturbateur qui l’empêche de réaliser son crime.

Viennent se rajouter à cela un grand nombre de suspensions du temps plus ‘classiques’ et que l’on retrouve de manière récurrente dans un cinéma de suspense dit traditionnel. Nous citerons par exemple le moment où Margot se lève pour répondre au téléphone alors que nous savons Lesgate caché et près à agir, la longue hésitation de cet assassin forcé qui attend désespérément que Margot raccroche pour pouvoir l’étrangler, la longue agonie de Madame Wendice avant le rocambolesque et inattendu renversement de situation, ... Les exemples sont en effet nombreux dans cette séquence, et tous contribuent à créer une attente presque insoutenable pour le spectateur. Ces éléments, parce qu’ils provoquent un ralentissement indéniable de l’action, génèrent une suspension du temps, à l’origine même de la notion de suspense.

Le temps, son écoulement - ou son non-écoulement - constituent également l’un des enjeux primordiaux de la séquence de Raising Cain. Il semble premièrement important de noter que le temps du récit n’est absolument pas perturbé avant que ne surgisse la menace. En effet, lors de la discussion entre Carter et Karen, le temps du récit est identique au temps réel; nous ne sommes pas encore entré dans une logique de suspense. Le facteur déclencheur est bien entendu l’immobilisation de Karen, se produisant en deux mouvements : la poudre aux yeux et le mouchoir chloroformé. Dès cet instant Carter est en proie à toute forme de pression extérieure, la réussite de son projet ne dépend plus uniquement de lui (il a réalisé son contrat puisque Karen est inerte) mais de ce qui va se produire autour de lui. A partir de ce moment là, Brian De Palma commence à jouer avec le temps du récit en le dilatant à l’extrême. Il ne va plus correspondre au temps réel.

En examinant attentivement la séquence, il apparaît clair que deux temps distincts sont mêlés : le temps de Carter et le temps extérieur à Carter (comprenant l’intérieur de la voiture également). En effet De Palma ralentit toutes les actions se produisant autour de son personnage pour créer un suspense de l’attente, en dilatant le déroulement du temps il augmente le contenu dramatique de la séquence. Les exemples que nous allons évoquer vont nous permettre d’éclaircir ce propos, et pour cela nous allons toujours prendre comme base temporelle le temps réel, à savoir celui qui prédominait dans la séquence avant l’immobilisation de Karen.

Les deux sportifs sont sans aucun doute la plus grande source de danger pour Carter; s’ils s’aperçoivent de son méfait, les conséquences en seront pour lui dramatiques. Or Brian De Palma nous présente les coureurs sur onze plans différents, et il leur faut, selon notre temps de base, plusieurs minutes pour parcourir une centaine de mètres. La multiplicité des plans les présentant ainsi que la lenteur de leur progression n’ont rien de réel. La dilatation du temps est ici poussée à son paroxysme, permettant à De Palma d’accentuer au maximum la tension générée. Le suspense naît bien de cette longue attente, et l’effet rendu pousse le spectateur à penser que Carter est totalement démuni de ses moyens et agit avec une lenteur incommensurable. Cette impression est créée par le surdécoupage, par la multiplicité des plans, qui ralentit le déroulement de l’action, et qui du même coup est à l’origine de cette création d’un nouveau temps. Le suspense étant créé par l’arrivée des deux sportifs, De Palma utilise donc le maximum de ce potentiel, retardant tant que possible le moment où ceux-ci vont parvenir à hauteur de la voiture. Le cheminement de cette idée est totalement logique : le surdécoupage et l’affolement de Carter entraînent un retardement de la chute, qui se traduit à l’oeil du spectateur par un ralentissement du temps diégétique et c’est ce même ralentissement qui provoque l’effet de suspense.

De Palma procède de manière similaire pour l’éveil d’Amy, la fille de Carter. Ouvrir une paupière ne prend pas, dans un temps réel, plus d’un dixième de seconde; cette action se réalise ici sur plusieurs minutes. Carter étant en décalage par rapport à son environnement, son horloge interne, et par conséquent celle de la séquence puisque De Palma nous la présente du point de vue de son personnage, égrène les secondes à une vitesse supérieure à celle de la réalité (de la scène). Cet effet est encore généré par la multiplicité des plans et la vitesse du montage (nous n’y reviendrons pas, l’explication concernant les deux coureurs est valable pour chacun des points que nous allons voir ici), et c’est parce que Carter redoute le réveil de sa fille, et que cette appréhension contamine également le spectateur, que le temps d’attente nous semble interminable.

Le troisième facteur de perturbation majeur est le déclenchement de l’avertisseur par la tête de Karen s’affalant sur celui-ci avec fracas. Ce coup de klaxon fortuit qui agit comme un signal de détresse sera d’ailleurs à la source du rapprochement des sportifs. En considérant une nouvelle fois notre temps réel, érigé ici en échelle de comparaison, la durée du signal sonore est énorme. A la fois agacé et excité à l’idée du danger, le spectateur ne comprend pas pourquoi Carter n’a pas l’idée, pourtant évidente de redresser Karen, geste qui aurait pour conséquence immédiate de stopper le klaxon. Cette inaction est la conséquence de plusieurs causes. La première est diégétique (si cette séquence est avant tout une grande démonstration de mise en scène de suspense pur, elle a néanmoins pour fonction de ‘raconter une histoire’) et signifie que Carter est tellement affolé par le déclenchement du klaxon qu’il en perd tous ses moyens; il ne sait comment agir, la peur a pris le dessus. La seconde explication suscite en nous plus d’intérêt puisqu’elle relève de la mise en scène et vient rejoindre les cas précédemment évoqués concernant les sportifs et Amy. Il s’agit simplement de ralentir au maximum toute action pour générer un suspense maximum. La construction de palmienne est fort judicieuse puisqu’elle ne se contente pas de confronter le héros à un seul et unique danger mais lui en offre trois qui, s’ils proviennent de sources séparées et indépendantes, s’amalgament parfaitement pour accroître la puissance du suspense. De Palma apporte une solution fort judicieuse à son personnage, et cette solution sert allègrement notre propos puisque celle-ci va combiner les deux univers qui étaient jusqu’à présent séparés, l’univers interne de Carter et l’univers extérieur, et qui s’opposaient sur l’échelle du temps.

Cette solution apparaît sous le visage de Cain, frère jumeau de Carter, et également interprété par John Lithgow. Celui que le spectateur néophyte pourrait prendre pour un personnage de chair et d’os n’est qu’un des dédoublements de la complexe personnalité de Carter. Traumatisé dès son plus jeune âge par les obscures expériences de son père, le protagoniste possède une personnalité divisée en six parties (dont la plus présente et la plus néfaste est incarnée par Cain), mais il a également la particularité de matérialiser physiquement ses doubles. Cain (au prénom plus qu’évocateur) est son dédoublement le plus dangereux (c’est lui qui le pousse au crime) mais également le plus intelligent, c’est pourquoi il vient ici au secours de Carter.

Ce qui nous intéresse ici est le fait que Cain soit matérialisé, et cela pour une double raison. Comme nous l’avons dit, il est la liaison entre les deux univers temporels; c’est une pure création de l’imaginaire de Carter mais il est représenté par De Palma dans le paysage géographique (et qui plus est à l’extérieur de la voiture). S’il appartient à l’univers physique extérieur, son comportement s’accorde pourtant à l’univers temporel de Carter puisqu’il converse avec lui de manière totalement conventionnelle. Il ne se comporte donc pas ‘au ralenti’ (c’est une image relevant purement de la mise en scène) comme chacun des autres personnages, mais est au contraire en osmose avec son frère. Le second point suscitant vivement notre intérêt vient des propos qu’ils s’échangent. Si le contenu est primordial en ce qui concerne la diégèse (il lui lance un « Kiss her » qui apporte à Carter la solution de tous ses problèmes), c’est surtout la forme de cet échange sur laquelle nous allons nous arrêter. En effet, Cain intervient alors que les deux sportifs sont déjà à hauteur du véhicule et les deux frères prennent le temps de converser comme si aucun danger n’était présent. Il parait évident qu’à cet instant précis le temps du récit n’est plus au ralenti mais qu’il s’arrête totalement. Cain étant une création de l’esprit de Carter, l’idée d’embrasser Karen lui vient concrètement aussi rapidement qu’une pensée quelconque; le temps ne peut donc pas s’écouler (ou du moins s’écoule durant une période infinitésimale, le temps d’une pensée, un dixième de seconde tout au plus). Mais le parti pris de De Palma est de nous matérialiser cette pensée, de la rendre visible et palpable (pour les personnages du moins). Il joue donc sur deux échelles de temps différentes, et la conversation fraternelle se déroule en dehors du temps. Le spectateur ne maîtrisant pas forcément cette donnée, va interpréter cet élément comme un accroissement du danger, considérant ce long temps de discussion comme du temps de perdu sur l’action et sur le contrôle de la situation. Celui-ci reste ancré sur une échelle de temps narrative et pense que les sportifs poursuivent leur progression et sont déjà sur le point d’alpaguer Carter. De cet effet découle un suspense paroxysmique, une tension qui n’est possible que par cette distorsion temporelle.

La considération du temps est un phénomène majeur de toute oeuvre cinématographique, elle se fait encore plus primordiale lorsqu’il s’agit de mettre en scène le suspense. Les deux exemples issus de Dial M for Murder et Raising Cain, montrent combien les jeux sur le temps (dont principalement sa dilatation) sont primordiaux dans les oeuvres d’Hitchcock et De Palma. L’hypertextualité présente ici est une hypertextualité digérée et purement stylistique. De Palma ne cite pas quelconque plan hitchcockien mais est presqu’inconsciemment imprégné de sa manière de mettre en scène le suspense et de considérer le temps. « Comme si à force de se l’envoyer régulièrement en perfusions, le cinéma hitchcockien coulait dans les veines de De Palma et irriguait tout naturellement ses films. » écrivait Jean-Marc Lalanne dans un article paru dans Le Mensuel du Cinéma .

L’emprunt est donc stylistique. Le suspense de De Palma, s’il tient en grande partie aux qualités propres de mise en scène de son auteur, est également une forme de pastiche au sens où l’entendait Genette, c’est à dire une pure imitation de style. Car si Hitchcock fut un réalisateur aux succès commerciaux importants, construisant tous ses films dans le but premier de satisfaire son public, il n’en était pas pour autant un metteur en scène expérimental. Il est à l’origine d’un grand nombre d’innovations filmiques et se voit entre autres attribué la pérennité des constructions modernes de la mise en scène de suspense. Comme nous l’avons vu, ce suspense ne peut fonctionner sans avoir recours à des modifications des deux grands paramètres universels : l’espace et le temps.

Le suspense de palmien fonctionne bien selon ces mêmes codes, et si ses mises en scène prônent pour leur originalité, leur efficacité et leurs prises de risques, elles restent néanmoins des formes d’hypertextualité stylistique. Au long de cette analyse, il a semblé indéniable que la construction morcelée de l’espace, que l’utilisation des gros plans dans un but d’isolation spatiale, que le ralentissement maximum de l’action et que les multiples dilatations et distorsions temporelles relevaient bien de notions hypertextuelles. Il n’y a aucune connotation péjorative dans le terme hypertexte, bien au contraire, il ne s’agit surtout pas de sous-entendre que De Palma copie Hitchcock ou s’appuie sur un modèle dans le but de le reproduire. Il s’agit simplement de montrer, qu’au moyen de cette hypertextualité, De Palma transcende un genre en se l’appropriant. Un artisan ne construit une oeuvre qu’au moyen d’une matière première, qu’il s’agisse du bois, du fer, ou d’un quelconque matériau. Un artiste ne peut décemment construire une oeuvre, même avant-gardiste, que sur un texte précédent ‘sur lequel il se greffe sans le commenter’. Nous avons rejoins la définition de l’hypertexte de Genette, qu’il définissait également comme une force capable de relancer sans cesse les oeuvres antérieures.


Citons enfin des propos de Brian De Palma, émis lors d’un entretien télévisé avec Henry Behar, que Dominique Legrand retranscrit dans son ouvrage : « J’aimerais faire une chaise comme celle-ci, sans pour autant qu’il s’agisse de la même chaise. »



la création pure
d’un acte hypertextuel

« Donc, je me suis servi d’une seule prise d’Arbogast qui monte l’escalier et, quand il s’est approché de la dernière marche, j’ai délibérément placé la caméra en hauteur pour deux raisons : la première afin de pouvoir filmer la mère verticalement car, si je l’avais montrée de dos, j’aurais eu l’air de masquer volontairement son visage et le public se serait méfier. De l’angle où je m’étais placé, je ne donnais pas l’impression d’éviter de montrer la mère »
Alfred Hitchcock à François Truffaut.


Le point que nous allons aborder maintenant est, au sein de la notion même d’hypertexte, assez particulier. Nous allons tâcher de comprendre, à l’aide d’un exemple précis, comment Brian De Palma créé, au sein de l’une de ses oeuvres, un hypertexte.

Gérard Genette écrit dans Palimpsestes que « l’hypertextualité, à sa manière, relève du bricolage. (...) Disons seulement que l’art de « faire du neuf avec du vieux » à l’avantage de produire des objets plus complexes et plus savoureux que les produits « faits exprès » : une fonction nouvelle se superpose et s’enchevêtre à une structure ancienne, et la dissonance entre ces deux éléments coprésents donne sa saveur à l’ensemble. »

C’est ainsi que nous allons tenter d’analyser cet élément hypertextuel, en montrant comment le contenu diégétique d’un film peut être ‘bricolé’ par son metteur en scène afin d’y introduire un hypertexte qui agira à la fois comme perturbateur (l’hypertexte est quelque part un acte d’énonciation puisqu’il va nous rappeler un autre film et donc nous rappeler que nous sommes au cinéma) et comme générateur de forces et de formes nouvelles (l’hypertexte étant pour Proust, selon Genette « l’une des voies privilégiées - et à vrai dire obligées - de son rapport au monde et à l’art. »).

L’hypotexte choisi est une nouvelle fois issu de Psycho, et se situe lorsque le détective Arbogast s’introduit dans la demeure familiale et inquiétante des Bates. L’hypertexte de palmien est lui extrait de Raising Cain, l’une de ses meilleures oeuvres à ce jour, possédant une telle perfection de mise en scène qu’elle tend à faire du film une abstraction pure. La scène en question introduira le personnage de psychiatre qu’est le docteur Waldheim. Situons précisément les deux extraits suscitant notre intérêt, afin d’entreprendre une analyse plus judicieuse.

Marion Crane à déjà été assassinée par un personnage que le spectateur néophyte croit être Madame Bates. La famille de la jeune femme, inquiète, charge un détective, Arbogast, d’enquêter. Après une première tentative au motel où Norman Bates l’empêche d’aller interroger sa mère, Arbogast se rend une nouvelle fois, et subrepticement, sur les lieux et pénètre dans la demeure interdite. Après quelque hésitation dans le hall, celui-ci se décide timidement à gravir les marches de l’escalier conduisant à la chambre de Madame Bates. Un gros plan sur une porte s’entrouvrant fait place immédiatement à la célèbre plongée montrant Madame Bates surgir de sa chambre, sur la droite de l’écran, et assassiner Arbogast, situé quant à lui sur la gauche. Bien évidemment, le spectateur ignore à cet instant présent qu’il s’agit de Norman Bates déguisé. L’axe de caméra choisi, la plongée totale, est là pour entretenir ce doute, ou plutôt pour empêcher le spectateur d’avoir un doute quelconque. Il n’y a aucune hésitation possible, il s’agit bien de Madame Bates.

Le docteur Waldheim de Raising Cain, est psychiatre et elle identifie immédiatement Carter Nix lorsque elle le voit, pour avoir travaillé avec son père dans le passé. Elle subit des opérations de chimiothérapie et prévient immédiatement les policiers et les spectateurs du fait qu’elle porte une perruque (cela aura son importance). Elle dit « Je déteste cette perruque » ainsi que « J’ai l’air d’un travesti. » Lors du très long (et magnifique) plan qui accompagne les personnages dans tout l’immeuble, le docteur Waldheim parle aux policiers des dédoublements de personnalité ainsi que des recherches du docteur Nix, le père de Carter. Ils passent dans le grand hall central, qui sera le lieu de notre cas d’hypertextualité. Le docteur Waldheim s’enferme ensuite dans une pièce en compagnie de Carter pour tenter de faire parler ses doubles. Celui-ci feint l’hypnose, joue le jeu quelques temps, puis assomme le docteur Waldheim d’un coup de tête. Le spectateur est donc informé que le docteur Waldheim porte une perruque, et que Carter est sur le point de s’évader après l’avoir assommée. Le plan suivant nous montre Jenny, la femme de Carter, accoudée à la terrasse du balcon du grand hall central que nous avons déjà évoqué. Elle voit passer Carter déguisé, qu’elle prend pour le docteur Waldheim et essaie de l’appeler à plusieurs reprises. En vain. Carter s’enfuit sans même se retourner. Ce n’est qu’ensuite que Brian De Palma nous montre le corps étendu et inerte du docteur Waldheim privée de ses vêtements et de sa perruque. Mais qu’importe, chaque spectateur a déjà repéré la supercherie de Carter.

Avant d’analyser précisément ce phénomène hypertextuel particulier, il est indispensable de décrire le seul plan de cette séquence ouvertement emprunté à Alfred Hitchcock. Il s’agit du plan en plongée totale sur le hall de l’immeuble où Jenny voit passer Carter travesti. Ce plan est en effet la réplique du plan de Psycho où Arbogast est assassiné. Nous sommes, dans les deux cas, en présence d’une plongée totale montrant un homme travesti en femme (perruque comprise).

Tout l’aspect judicieux et pertinent de cette séquence vient du fait qu’elle semble n’exister que pour justifier ce plan. En effet, le seul intérêt du personnage du docteur Waldheim vient du fait qu’elle porte une perruque. Il est vrai qu’elle permet également une justification au titre du film, Raising Cain, et qu’elle apporte des renseignements sur les obscurs travaux du docteur Nix, le père de Carter, mais c’est le travail du metteur en scène et du scénariste d’apporter ce genre d’informations qui auraient très bien pu intégrer la diégèse par le biais d’un autre personnage. Que ces éléments parviennent par la bouche du docteur Waldheim ou d’un autre individu n’a absolument aucune importance.

Ce personnage est donc créé par De Palma dans un seul but hypertextuel : pouvoir refaire un plan de Psycho. Si le très long plan de début de séquence nous amène dans le hall central où se produira ensuite la référence, ce n’est pas non plus par hasard. Les policiers, qui jouent ici le rôle du metteur en scène n’ont de cesse de remettre le docteur Waldheim dans le droit chemin (elle se dirige en effet à de multiples reprises dans de fausses directions), afin qu’elle parvienne dans le hall. Les policiers (et par extension De Palma) semblent dire à Waldheim (aux spectateurs) : voici le lieu où va se produire l’acte hypertextuel.

Mais il faut savoir, et c’est le cas de tous les hypertextes chez De Palma, que le metteur en scène ne se contente pas de réaliser cette citation par pure plaisir cinéphilique et qu’il n’en délivre pas une pâle copie conforme. Tout va reposer ici sur l’enjeu de la mise en scène, enjeu se trouvant être aux antipodes de celui de l’hypotexte hitchcockien.

En effet dans cette scène de Psycho et comme l’explique lui-même Hitchcock à François Truffaut, tout repose sur le fait que le spectateur ne doit avoir aucun doute sur l’identité de la personne qui surgit de l’entrebâillement de la porte. Il s’agit bel et bien de Madame Bates. « Ma principale satisfaction est que le film a agi sur le public, et c’est la chose à laquelle je tenais beaucoup. » déclare Alfred Hitchcock. Tout va donc reposer sur la crédulité du spectateur, et Hitchcock construit sa mise en scène en fonction de ce paramètre. C’est pour cette raison que le plan montrant l’apparition de Madame Bates est cadré en plongée totale; il ne faut surtout pas donner l’impression que l’on tente de masquer le visage de la mère. Un seul soupçon, un seul doute sur l’identité de la personne, si minime soit-il, et tout le suspense est anéanti. Car c’est bien de suspense qu’il s’agit ici (mêlé, il est vrai, à la surprise : l’apparition soudaine de la silhouette). La mise en scène hitchcockienne est par excellence une mise en scène de suspense, et dans cet exemple précis tous les éléments susceptibles de créer ce type de climat sont rassemblés.

Si on examine attentivement la séquence de Raising Cain, il est une chose qui semble évidente : il n’y a aucun suspense. Il prend ici le contrepoint de son metteur en scène hypotextuel, en reproduisant un plan certes, mais en en ôtant toute trace d’un suspense quelconque, offrant ainsi une pure démonstration de mise en scène. Nous allons nous pencher plus précisément sur ce point de détail et analyser comment et pourquoi De Palma ôte tout ce qui pourrait contribuer à créer un effet de suspense. Le principe de cette séquence - et c’est d’ailleurs le principe de tout le cinéma de Brian De Palma -, c’est qu’il prend le spectateur pour un être intelligent. Le spectateur de palmien est quelqu’un d’actif, que le metteur semble toujours prendre à ses côtés; il n’est en effet jamais laissé dans l’ignorance mais semble au contraire, la plupart du temps, tellement impliqué qu’il pourrait participer à la diégèse.

Pourquoi n’y a-t-il donc pas de suspense dans cette séquence de Raising Cain? Tout simplement parce que Brian De Palma prend le soin d’avertir son spectateur de certains éléments diégétiques primordiaux. Dès l’apparition du docteur Waldheim, celle-ci s’empresse de nous dire : « Je déteste cette perruque. (...) J’ai l’air d’un travesti. », comme si elle souhaitait (et De Palma également par son entremise) nous prévenir de ce qui allait se passer par la suite. Nous voyons également Carter assommer le docteur Waldheim, et lorsque qu’il traverse le hall, nous savons pertinemment qu’il s’agit de Carter et non du docteur. Mais toutes les raisons évoquées pour justifier cet ‘anti-suspense’ ne sont pas suffisantes. La raison la plus évidente, la plus flagrante et indéniable tient encore une fois dans le fait que De Palma sait que son spectateur est intelligent. Par conséquent, il sait que le spectateur de Raising Cain a vu (et revu) Psycho, qu’il connaît par coeur la séquence où Arbogast se fait assassiner par cette ombre fugitive. C’est pour cette raison (entre autres), que l’affirmation des détracteurs de Brian De Palma stipulant que son cinéma puise ses recettes de suspense dans le cinéma d’Alfred Hitchcock n’est pas valable. En effet, en utilisant l’hypertexte hitchcockien, De Palma sait forcément que ses spectateurs ont vu le ‘film-souche’. Donc le suspense ne pourra pas fonctionner de cette manière mais il lui faudra le transcender. Donc, lorsque le spectateur voit passer la silhouette du docteur Waldheim, il sait, et cela parce qu’il a vu Psycho, qu’il a affaire à Carter. Mais De Palma ne s’arrête pas là, et pousse au contraire cette réflexion encore plus loin en intégrant le spectateur originel - le spectateur de Psycho d’Alfred Hitchcock - à la diégèse. Ici, ce spectateur fictif est incarné en la personne de Jenny, le femme de Carter, qui elle, en tant qu’élément diégétique de Raising Cain n’a pas vu Psycho et se laisse tromper en croyant qu’il s’agit bel et bien du docteur Waldheim. C’est un cas fréquent dans l’oeuvre de De Palma (celui où le spectateur néophyte, n’ayant pas connaissance de l’hypotexte se retrouve intégré à la diégèse), et nous le retrouvons par exemple incarné par les deux gros touristes Américains (et munis de leur canette de bière) lors de la scène finale de ce même Raising Cain, ou encore par le personnage de Liz dans Dressed to Kill. Ces personnages, purement fictifs, n’ont pas connaissance de l’hypotexte hitchcockien et subissent l’action sans pouvoir intervenir ni établir un référentiel. En revanche, le spectateur réel - celui qui est assis dans une salle de cinéma -, a en mémoire le texte-souche (c’est bien ce que désire De Palma) et anticipe sur l’action. Le suspense de palmien ne naît donc pas des emprunts effectués dans l’oeuvre d’Hitchcock, mais du fait que le spectateur anticipe sur les séquences en question. Sa peur vient du fait qu’il connaît le cinéma d’Hitchcock et qu’il est donc capable d’appréhender telle ou telle séquence grâce à son savoir.

Gérard Genette écrit que « l’hypertextualité a pour elle ce mérite spécifique de relancer constamment les oeuvres anciennes dans un nouveau circuit de sens. » Cette phrase sert tellement notre propos qu’elle semble avoir été écrite pour désigner le cinéma de Brian De Palma. A partir d’une scène de base, ou, de manière encore plus minimaliste comme c’est le cas ici, à partir d’un plan seulement, De Palma créé un « nouveau circuit de sens ».

C’est volontairement que nous avons choisi un exemple extrême. Ici, en effet, nous assistons à la création d’une séquence entière, et même à la création d’un personnage pour servir un but hypertextuel. Un plan de Psycho, transposé dans un nouveau cadre devient le moteur de la création d’une nouvelle séquence. Genette nomme cette opération de transposition transdiégétisation. Il indique que « fictive ou historique, l’action d’un récit (...) « se passe » (...) généralement dans un cadre spatio-temporel plus ou moins précisément déterminé. (...) Ce cadre historico-géographique que j’appelle la diégèse, et il va de soi, j’espère, qu’une action peut être transposée d’une diégèse dans une autre, par exemple d’une époque à une autre, ou d’un lieu à un autre, ou les deux à la fois. ». Cette «transdiégétisation ne peut évidemment aller sans, pour le moins, quelques modifications de l’action elle-même. ».

Nous atteignons ici l’un des paroxysmes de la notion d’hypertextualité, où un auteur créé autour d’un plan déterminé (la plongée hitchcockienne), un environnement global pour trouver une crédibilité au plan cité. Mais il n’y a jamais d’usurpation autour de ce plan, c’est à dire que De Palma ne fait pas du ‘remplissage’ autour d’un plan d’Hitchcock; il le transpose au contraire dans un nouvel espace, il est réellement transdiégétisé, et cette opération est porteuse d’éléments de création pure. Une fois encore nous nous apercevons que l’hypertextualité est, dans le cinéma de Brian De Palma, l’un des facteurs primordiaux de la création, l’un des moteurs de son cinéma.
FrankyFockers
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le 11 mai 2013

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