L'Homme qui rit par Gauvain
J'y suis allé avec une grosse appréhension, fondée sur la difficulté structurelle à adapter L'Homme qui Rit au cinéma (même si Paul Leni, semble-t-il, s'en était bien sorti), puisque une partie du charme du livre tient justement à ce que l'on ne voit jamais Gwynplaine et son visage. La critique l'a peu noté, je crois, mais le lecteur est dans une position assez proche de celle de Déa (son amoureuse aveugle), puisqu'il sait que Gwynplaine est monstrueux, mais sans le voir jamais. Et cette invisibilité de Gwynplaine permet de lui façonner un visage parfaitement invraisemblable, irreprésentable et inimaginable, avec une bouche fendue jusqu'aux oreilles (on voit les gencives ? on voit les dents ?) mais que le personnage arrive, par un effort de volonté suprême, à contracter pour lui redonner une apparence normale (on ne voit pas trop comment, mais c'est tout l'intérêt). Mettre Gwynplaine à l'écran, ça implique de faire des choix, de prendre un parti quant à la façon de représenter son visage, donc forcément d'euphémiser sa mutilation - on ne peut de toute façon pas charcuter le visage de l'acteur.
Donc, Jean-Pierre Améris a maquillé Gwynplaine avec une sorte de cicatrice qui prolonge la bouche de chaque côté, en remontant un peu sur les joues. Le drame, c'est que cette cicatrice n'est tout de même pas si spectaculaire que ça (à tel point que le réalisateur a décidé, dans la 2e partie du film, de la faire ressortir au moyen d'un absurde fond de teint blanc que rien ne vient justifier dans l'intrigue) : Gwynplaine ne fait pas peur, Gwynplaine ne fait pas rire, Gwynplaine n'est même pas laid. Pourtant, les spectateur-trice-s qui le voient jouer dans les pièces d'Ursus, et les nobles qui le voient dans son château à la fin, rient en le voyant. Le décalage entre l'effet produit sur le public et l'apparence réelle de Gwynplaine est trop grand pour qu'on puisse assumer un rapport réaliste de cause/conséquence entre les deux. Cet élément de l'intrigue n'est tenable que si on décide de "surcoder" le "rire" de Gwynplaine, de poser comme un choix explicite et arbitraire que ce rire fait rire, d'adopter une logique d'ordre onirique plutôt que réaliste.
C'est ce que le film se décide ENFIN à faire dans sa deuxième moitié, au moment où Gwynplaine, devenu marquis, se réveille dans le château Clancharlie. Là, on se retrouve plongé dans une atmosphère à la Tim Burton qui, pour être honnête, marche plutôt bien. On se ballade dans un invraisemblable château de conte de fée, et on se laisser porter par ce qui ressemble, précisément, à un *rêve* de Gwynplaine. Le film se désancre totalement par rapport au roman : on est dans un pays imaginaire, à une date inconnue, pas dans l'Angleterre du début du 18e (Londres s'appelle "la capitale du royaume", la Tamise s'appelle "le fleuve", etc.). Mais jusqu'au milieu du film, on ne peut pas savoir quel parti on va prendre, celui du réalisme ou celui de la fantaisie tim-burtonienne. Je trouve que c'est un problème ; pendant plus de trois quarts d'heure on ne sait pas sur quel pied danser, on passe d'une grille de lecture à l'autre sans pouvoir se stabiliser.
Autrement, Marc-André Grondin a un jeu exécrable, il n'y a pas une seule phrase de lui qui sonne juste. Je rêve d'un réalisateur qui oserait consacrer 20 minutes, une demi-heure au grand discours de Gwynplaine à la chambre des Lords. Sauf que Paul Leni a fait un film muet, et qu'Améris a pris un mauvais acteur. Christa Theret (Dea) est presque aussi mauvaise ; le jeu calamiteux des deux acteurs principaux aggrave sans doute l'insupportable mièvrerie de certaines scènes ("Est-ce que la Lune brille sur le fleuve ? - (silence) Oui... - (silence) Ce doit être très beau... - (silence) Oui, c'est très romantique..." (Facepalm !), en particulier de l'épilogue interminable et laborieux qui ne nous épargne vraiment aucun cliché. La duchesse Josiane, qui n'a pas de prénom dans le film, s'en sort bien en revanche. Gérard Depardieu est excellent dans le rôle d'Ursus, et Barkilphedro est splendide.