L'Homme qui rit est un des films les plus sombres d'Améris. Traduction d'une longue fascination pour l'histoire de Victor Hugo, c'est une œuvre où il a tenu à mettre de sa personne malgré le budget encombrant.
Le mélange est hésitant. Guidé par une scénographie pompeuse qui ne sonne pas juste sans être tout à fait exagérée, le spectateur finit par se faire emporter dans l'univers d'Hugo, dont on reproduit parfaitement le gouffre qu'il aime ouvrir dans les sentiments, au cœur de la pauvreté française.
On avance donc relativement convaincu, même si l'on se dit que les acteurs manquent un peu de présence et que les dialogues sont à rien d'être à la hauteur. On se demande ce qui nous porte : ce ne sont pas seulement les décors, ni l'histoire d'amour ou le drame qu'on sent se tisser derrière les enjeux qu'évoque cet homme à la grimace perpétuelle. Était-ce par manque de fond historique ou à cause d'un compromis raté ? Quoi qu'il en soit, l'homme qui rit est un homme dont on peut finir par rire aussi, hélas.
C'est malheureux à dire car le film est captivant, mais cet atout permet seulement de nous faire attendre un film meilleur encore qui n'arrivera jamais. Il dure une heure et trente-cinq minutes, juste le temps de passer en revue des tas de promesses, comme celle de justifier la naïveté rendue presque grotesque de ce saltimbanque devenu marquis. La fascination liée à l'accession de son titre fait long feu et l'on ne tirera de lui qu'une tirade pamphlétaire, devant le Parlement, qui oublie de nous faire vivre le vrai frisson de la cour.
Ainsi l'on croit tout du long qu'Améris prend simplement son temps pour planter un décor puissant, pour découvrir en fait que le film est déjà fini. Pourtant le final est un véritable arrache-cœur qui vient ponctuer nos attentes avec un brio aussi bien littéraire que cinématographique. Mais décidément, on ne peut regarder en arrière sans remarquer toutes les occasions manquées de glaner une réussite qui tendait les bras au réalisateur. Le comble est d'ailleurs que cette fin, aussi pleine d'émotion qu'elle fût, nous propulse dans un générique dont la musique joyeuse s'empresse de tirer un trait sur nos émotions chèrement acquises.
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