L'enfer est à lui est un classique du film noir sur le tard. Réalisé à la toute fin des années 40 (1949), le film met un terme à ce genre qui était si populaire dans les années 30 et qui à cette époque avait déjà pour vedette James Cagney.

Raoul Walsh s'offre donc pour ce film la star du genre, l'icône du Mal, devant Edward G. Robinson ou Paul Muni. James Cagney, c'est la brute de L'ennemi public, le salopard dans Fantastiques années 20 (de Raoul walsh) ou encore le truand des Anges aux figures sales.

Mais L'enfer est à lui ne se place pas dans la continuité de ses grands classiques, c'est un film annonciateur d'une nouvelle époque, d'un changement qui voit le triomphe de la police assuré face à un gangstérisme qui se tue lui-même. Les grands truands n'ont, soit pas l'étoffe d'autrefois, soit trop de folie en eux pour être de véritables génies du crime. James Cagney joue un fou, Cody Jarrett, un détraqué, psychopathe instable terrassé par d'horribles migraines et dépendants de sa mère comme l'est un Norman Bates. Cody est un déséquilibré intelligent et tenace, mais ses qualités de caïd sont largement contrebalancées par son instabilité mentale, en témoigne sa réaction disproportionnée à l'annonce du décès de sa mère. Il pleure crie, court dans tous les sens, geint, gémit et pleure comme un enfant. Il s'abandonne complètement et perd la face devant ses camarades codétenus. Paul Muni/Scarface aussi était un dingue, mais un dingue de violence, à la psychologie plus primitive, tandis que Cody est un être malade.

Raoul Walsh filme la décadence d'hommes dénués d'intelligence. Il démythifie les gangsters et ne leur laisse que leur côté violent et sanguinaire. Ce ne sont plus des stratèges mais des lâches qui tuent leurs amis dans le dos. Le seul homme véritablement malin de la troupe est un flic infiltré. Et l'idée la plus lumineuse de Cody est une histoire que lui aurait racontée sa mère, il s'agit du très célèbre épisode du cheval de Troie. Preuve que leur éducation est aussi consistante qu'une flaque d'eau dans un désert.

De toute façon, ils sont rattrapés par la technologie. Pas de vrais face à face meurtrier dans L'enfer à lui. Les hommes se rendent ou sont froidement abattus, mais il n'y a pas de vrais duels. Raoul Walsh se répond d'ailleurs à lui-même. Il filme une scène en complète opposition avec celle qui concluait La grande évasion deux ans plus tôt. Humphrey Bogart, vrai héros, vrai gangster s'est fait tuer car la femme qu'il aime l'a donné. Dans L'enfer est à lui, lorsque la femme de Cody demande au policier la permission de lui parler pour le faire sortir de sa cachette, celui-ci la renvoie violemment vers l'arrière. Cody n'est pas un héros de film noir, c'est un fou qui mérite de mourir comme un chien.

Les policiers, grâce aux progrès technologiques, ont une longueur d'avance. Les avancées en matière de criminologie : relevée d'empreintes, émetteur pour suivre une voiture à distance, etc. Toutes ces techniques sont autant de moyens qui permettent aux forces de l'ordre de mettre hors d'état de nuire les gangsters, et ceci, sans trop se mouiller. Il ne reste alors à Cody que la destruction, l'explosion assassine. Se brûler lui-même en faisant le maximum de dégât. Il ne lui reste en fait plus que le suicide, un suicide fou mais spectaculaire.

Raoul Walsh met en scène la fin d'une époque. On ne donne plus un furieux coup de point à son ennemi. Le flic n'est plus un dur à cuire et le gangster n'est plus un être froid et calculateur. C'est un maniaque à la dérive et le flic est un homme planqué derrière ses appareils électroniques.

L'époque est moins belle, le film noir perd les sujets qui faisaient sa grandeur. Tout comme l'Ouest américain, il est frappé par le nouveau monde, celui qui s'est ouvert à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.
busterlewis
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le 3 mars 2012

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busterlewis

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