La charrette fantôme, V. Sjöström (1921)

Synopsis : Gravement malade, une salutiste agonisante souhaite revoir l'un de ses protégés, David Holm, qu'elle aurait voulu ramener dans le droit chemin. Mais, celui-ci, justement, en compagnie de deux clochards, fête la Saint-Sylvestre dans un cimetière. Les trois ivrognes se remémorent un camarade décédé l'année d'avant et évoquent la légende selon laquelle le dernier mort de l'année, s'il s'agit d'un grand pécheur, conduira, jusqu'au Nouvel An suivant, la « charrette fantôme » qui ramasse les âmes des défunts. David meurt juste avant minuit et doit devenir ainsi le conducteur de cette charrette...

Retour en Europe désormais, où le réalisateur-acteur-scénariste Victor Sjöström parvient à hisser le cinéma nordique à son plus haut sommet, concurrençant directement les grands studios européens et américains. Et ce film va contribuer au succès naissant.

Le film décrit un monde spirituel très fort, contrasté avec ce monde froid dans lequel baigne le héros. On y voit des stéréotypes majeurs : les femmes sont ici dénigrées : Êtres fragiles, de foi ou femmes de ménages, soumise aux hommes et torturées psychologiquement. L'homme, lui, est représenté comme ivrogne, violent et réprobateur. Enfin, un troisième personnage arrive et joue l'équilibre narratif en la présence de la Mort. Parfois amicale, parfois cruelle, c'est via la mise en scène que le spectateur peut comprendre son importance.

Il est intéressant de voir la pauvreté et la petitesse du héros, qui parvient encore à être attachant. Malmené, victime d'évènements malheureux et ne se remet en cause qu'au pied du mur, David Holms (Victor Sjöström) épate par son jeu visuel et ses expressions. À ses côtés, sa femme (Hilda Borgström) interprète à merveille cette femme emprisonnée entre folie et tendresse. L'enjeu est dans ce triangle infernal qui finit en apothéose par une fin mélodramatique marquante.

Côté technique, l'innovation est au rendez-vous. La déstructure de ce film en fait son point fort : car le réalisateur n'hésite pas sur les flashbacks et parfois même des flashbacks à l'intérieur encore, donnant une histoire narrative nouvelle et fraîche. De plus, un vrai travail de montage est à mentionner : raccords dans l'axe, raccords regards, saute d'axe, contrechamps, etc. Un véritable travail qui portera ses fruits.

Mais c'est également du côté de la photographie que viendra la nouveauté. Des surimpressions remarquées qui animeront la "mort" et donneront un relief 3D encore jamais vu ! Cette différence de "filtres" est dû à un énorme travail sur la lumière, remarquable sur tout le film. On joue sur les lumières naturelles (bougies), artificielle (lampadaires) et lumières du studio pour donner un réel sens à l'image ! Autre bonus, une composition minutieuse des cadres, jouant parfois sur la profondeur de champ et perspectives, et d'autres fois sur quelques mouvements caméras, délicieusement réalisés.

Le tout mouvementé par des cartons de dialogues qui interviennent juste au bon moment selon moi ; laissant au spectateur d'interpréter l'action et amorçant la suite des évènements.

Ce film est tout simplement un véritable chef d'oeuvre qui propulse le cinéma nord européen au rang de maître ! Véritablement ! Il a d'ailleurs été précurseur du mouvement de l'expressionnisme allemand en cinéma (car le mouvement existait déjà dans l'art et la littérature) par ce côté fantasque, ces esprits tourmentés et ce jeu de lumière travaillé. Bien que le film a mal vieilli et que ses thèmes et certains aspects (notamment la religion abordée) dénotent un peu aujourd'hui, il n'en reste pas moins un film à voir et à savourer.

HALLUciné
9
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le 28 nov. 2017

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