Film monde, film total, chef-d’œuvre absolu d’un des plus grands cinéastes contemporains, objet purement dément de mise en scène… Les superlatifs ne manquent pas pour parler de La Guerre des Mondes (2005). Ils ne manqueront pas dans cet article non plus, pas d’inquiétude à avoir là-dessus. L’énième rediffusion ce soir du film sur France 4 est une bonne occasion d’essayer de percer à jour le secret de la puissance de feu d’un tel film, pourtant pas si adulé.


C’est avec beaucoup d’excitation, mais également une appréhension certaine que j’entame cet article sur La Guerre des Mondes. Quand notre rédacteur en chef nous a annoncé qu’il serait bon que quelqu’un écrive sur le film à l’occasion de sa rediffusion, j’ai sauté sur l’occasion, mais maintenant je ne vous le cache pas, j’ai peur. Comment vais-je réussir à parler d’un tel film, par quel bout le prendre ? La Guerre des Mondes est un film inouï, ce genre de film dont on sort sans trop savoir ce qu’on a vu, ni si ce qu’on a vu a bel et bien existé. Quand on vient à s’interroger sur la possibilité même de l’existence d’un tel film, vous conviendrez que l’interrogation sur la possibilité d’écrire un article à son propos est une abysse. Ne trouvant pas vraiment l’angle, je vais prendre la solution de facilité sans doute, et vous raconter ma vie. Parce qu’il fait partie de ces films qui m’accompagnent depuis toujours, et qui sans doute m’accompagneront encore longtemps. J’ai une dizaine d’années quand je découvre, hébété, La Guerre des Mondes, sur un DVD loué dans mon cher et aimé vidéoclub. J’étais terrifié et foudroyé à la fin du film, et je me souviendrai longtemps du silence qui suivit la vision du film dans le salon familial. Silence qui fût rompu par un lapidaire commentaire de mes parents : « Eh bah celui-là c’est vraiment un mauvais Spielberg ». Comment ? Mauvais ? Dès cet âge-là je cherchais à défendre le film, et ce de plus en plus honteusement puisqu’autour de moi, les années passaient et les avis restaient les mêmes. « C’est mineur », « Le happy ending c’est nul », « Les aliens sont moches », etc… Alors je me cachais et je me taisais, incapable de trouver une légitimité pour défendre le film. Je restais juste traumatisé dans mon coin, sans pouvoir dire distinctement que face à ce film j’avais cru saisir la catastrophe, que j’avais été confronté comme jamais sans doute à toute la violence du monde, la destruction et sa beauté morbide et renversante. Cette légitimité, je la trouvais de temps en temps. Vers mes 15 ans, j’essayais de trouver une légitimité de cinéphile, alors j’achetais les Cahiers du cinéma… Et oui pardon, ça fait pas trop genre tout ça. Les articles étaient longs, et je ne les comprenais qu’à moitié, alors je me disais que ça devait être ça une bonne revue de cinéma. Donc je stabilotais avec un air affecté les phrases des critiques que je comprenais, et j’étais toujours heureux quand je découvrais qu’ils aimaient des films que j’aimais aussi, et que les autres n’aimaient pas. Quel ne fût pas mon bonheur quand je découvrais leur top des années 2000 en Janvier 2011, et de voir dans celui-ci La Guerre des Mondes. Ne m’étais-je donc peut-être pas trompé ?


Non. Car La Guerre des Mondes est assurément un bon film. C’est d’abord l’adaptation d’un roman de H.G. Wells. Vous savez celui qu’Orson Welles avait adapté à la radio et qui avait terrifié les auditeurs croyant à une véritable invasion d’extraterrestres (true story). L’aventure d’un père divorcé qui doit s’occuper de ses enfants un week-end où le monde bascule dans le chaos et où des tueurs tripodes extraterrestres sortent de terre pour anéantir l’humanité. Le film est l’histoire de l’exode de cette famille dans un monde dévasté, sur un chemin qui semble rassembler les heures sombres de notre Histoire, plus particulièrement des drames du XXème siècle. En effet, jamais Spielberg n’avait atteint une telle puissance évocatrice dans l’incarnation visuelle de ces tragédies. Des images ténébreuses d’une campagne assaillie par les explosions évoquent le débarquement en Normandie, celles d’une fillette observant une rivière de sang où baignent des cadavres suivant le courant évoquent les génocides totalitaires du siècle précédent, et bien sûr le film intégralement est une incarnation terrifiée et terrifiante de la violence de notre contemporain (le terrorisme, la pollution, etc.). On l’a beaucoup dit, La Guerre des Mondes est peut-être le plus grand blockbuster post-11 septembre, mais cela va beaucoup plus loin que ça tant Spielberg brasse ici beaucoup plus large. Le réalisateur signe son œuvre la plus sombre sans aucun doute, sa plus glaçante et désenchantée. Il le dit lui-même à ce propos, il voulait revenir aux histoire avec des extraterrestres mais cette-fois pour aller du côté de la pure terreur. La Guerre des Mondes est en effet le Spielberg le plus angoissant, et ce malgré une intrigue ultra épurée. La narration simple et précise lui permet de développer une maestria de mise en scène démente, faite de plans séquences inoubliables – celui sur l’autoroute après la première attaque des tripodes par exemple, qui fait partie des plans les plus chers de l’Histoire du cinéma – d’idées de découpage renversantes et d’une interrogation perpétuelle autour du regard, de l’œil, motif obsessionnel de la carrière de Spielberg, comme en témoignait déjà son film précédent, Minority Report (2002) qui est presque un manifeste théorique de cette obsession. Cet alliage d’épuration de la narration pour laisser place à une démonstration ludique mais extraordinairement puissante de mise en scène de l’action n’avait trouvé aucun digne descendant, jusqu’au grand retour de Mad Max en 2015. Il y a sans doute beaucoup de rapprochements à faire entre La Guerre des Mondes et Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015) mais ce sera pour un autre article je crois.


Pour lire la suite:
http://faispasgenre.com/2017/01/la-guerre-des-mondes/

PjeraZana
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le 1 déc. 2017

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PjeraZana

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