Dans une séquence anthologique, où la terre accouche de ce monstre de métal, l’asphalte se craquelant comme la coquille d’un œuf, Spielberg fait émerger du sous-sol des civilisations une mécanique de destruction et de mort, comme pour montrer la nature violente de l’homme, son appétit pulsionnel et irrépressible pour la destruction, enfoui depuis toujours sous la surface vernie d’une conscience et d’une moralité fragile. Car de La Guerre des Mondes, Spielberg en retire une fable sur les horreurs de l’Histoire du siècle passé, sur toutes les guerres du monde.
Des cendres de la Shoa à la poussière du 11 Septembre, l’allégorie du XXème siècle se dessine, devient évidente. Dépendance à la technologie, tragédie du sang porteur des épidémies les plus dramatiques, délitement des valeurs sociale (l’altérité, la famille, la parentalité, le travail), emprise des médias nous rendant plus étrangers les uns des autres, obsession sécuritaire engendrant la violence ordinaire, individualisme croissant, préoccupation écologique…
Spectacle noir et cataclysmique, infiniment viscéral, le film nous emporte dans ses mouvements de foules en effroi et nous entraîne sans répit au travers d’une galerie d’images prodigieusement terrifiantes. Installation jouissive du détraquement d’une société moderne, géants monstres de fer qui redéfinissent effroyablement l’échelle du monde et d’une vie humaine, rivière charriant des cadavres confrontant le regard d’un enfant à l’écoulement perpétuel de l’horreur du monde, humains démunis fuyant le regard de l’Autre dans la cave d’une Amérique dévastée, ou encore cette vision d'un absolu cauchemardesque de ne plus reconnaître le monde lavé par la violence quand Ray contemple cette vallée écarlate où stagne un immense lac de sang.
Et puis, il y a la photographie géniale de Kaminski, entre froideur radiographique et délavement des couleurs, rappelant par là les éranges illustrations originelles d’Alvim Corrêa, les musiques atonales de John Williams et ses citations pertinentes du Sacre du Printemps et du Ballet de Gayane...
Se refermant comme il avait commencé, dans un mouvement propre aux fables, l’épilogue témoigne d’un élan d’espoir caractéristique du cinéaste. Les corps n’ont pu vaincre ce que leurs cellules ont détruit, et préservé. Comme la famille, cellule de cet autre corps qu’est l’humanité.