Dans ce film étonnant, la caméra suit les pas d’un homme qui vit dans une incroyable solitude. Misael (Misael Saavedra) arpente la pampa argentine en surveillant ce qui l’intéresse. On ne sait même pas s’il est propriétaire de quoi que ce soit, à part son matériel (un gros couteau, une hache, une tronçonneuse, une pelle) et probablement la tente où il dort. En vendant du bois, il gagne un peu d’argent, après négociation avec celui qui le lui achète pour en faire des poteaux.


Misael est assez jeune, environ 25 ans et vit un peu comme un animal solitaire, même si, à l’occasion, il retrouve ses semblables et discute avec eux. Il manifeste également des sentiments en s’inquiétant de sa mère et de sa sœur quand il a la possibilité, au village, d’appeler un ami d’une cabine téléphonique publique. Et puis, de temps en temps, quand il mange (ce qu’il peut, tatou compris), il écoute des chansons à la radio. Sinon, tout dans son attitude et ses gestes va dans le sens d’un être ayant sa place dans l’élément naturel, tuant à l’occasion pour manger et abattant des arbres pour vendre du bois. Il ne se contente pas d’agir selon ses besoins. Il élimine aussi des branches qui poussent de façon gênante. C’est de l’entretien réfléchi pour le long terme, comme si Misael pensait vivre ainsi de longues années, malgré l’isolement. S’il semble le supporter plutôt bien, on ne sait absolument pas dans quelle mesure il a choisi cet isolement. On peut supposer qu’il correspond à la liberté soulignée par le titre du film (premier long métrage de l’argentin Lisandro Alonso). On ne sait pas non plus quelle relation le réalisateur et son interprète principal entretiennent. On peut imaginer que La Libertad (2001 – 1h13) est aussi celle du réalisateur qui filme selon son inspiration, se focalisant sur un homme, ses faits et gestes, son rapport au monde, absolument indifférent à la présence de la caméra. De même, les choix vestimentaires de Misael semblent essentiellement d’ordre pratique : jean gris passe-partout, T-shirt rouge et une casquette bleue (portant l’inscription NY). Misael étant fort peu loquace, on ne saura jamais si ce détail signifie quoi que ce soit pour lui.


Le film se contente de montrer un certain nombre de situations, sans chercher particulièrement à faire dans le constat social. Au spectateur d’évaluer la signification de ce qu’il observe à l’écran, tout en notant que le réalisateur montre ce qu’il veut bien montrer. D’ailleurs, même en sachant Misael réellement bûcheron, le doute persiste quant à savoir s’il faut considérer ce film comme une fiction ou bien un documentaire.


Pour se faire une idée, le film se clôt sur une scène qui fait écho à celle du début, avec Misael en train de manger dans la forêt, dans l'obscurité, alors qu’un orage gronde derrière lui. Dans la scène finale, on sait ce qu’il mange (on a assisté aux préparatifs du repas) et on remarque que Misael fixe furtivement la caméra, comme s’il interrogeait le réalisateur du regard : satisfait oui ou non ? A mon avis, tout sauf une faute de débutant (rappelons-nous qu’un des premiers à avoir transgressé cette règle absolue du cinéma, c’est François Truffaut avec le dernier plan de Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups). Reste à savoir s’il s’agit d’un choix de l’acteur ou du réalisateur. Les deux probablement, ce qui veut bien dire que Lisandro Alonso ne se contente pas de placer sa caméra pour filmer le morne quotidien silencieux de son personnage, mais qu’il propose bien un travail de mise en scène (calqué sur le rythme de vie de Misael). Finalement, que ce soit une mise en scène du réel ou non importe peu. Par contre, si Lisandro Alonso réussit son pari en faisant de son film un objet déroutant (à l’image de son personnage), à force de mutisme et de minimalisme, on peut rester perplexe sur ses intentions profondes. Aussi, pourquoi un tel contraste entre la musique très rythmée accompagnant le générique du début et le film proprement dit ?

Electron
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le 14 févr. 2019

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SirBob
5

Critique de La Libertad par SirBob

Beau très simplement et ignoble aussi : l'animal qu'on tue inutilement et dépèce pour les "besoins" du film le rend déplaisant ; cruellement, nous passons de la fascination à l'abjection.

le 20 oct. 2012

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