Dès le début, un arbre.
Mangé par les feuilles, l'herbe, et la lumière, auréolant. Traversant ses branches, immergeant. Projetée sur les feuilles, suivant les racines, ces serpents filés au sols, tordus et immobiles. Trouant le paysage de sa lumière incandescente, tombant par étoiles à travers les branches élevées au ciel.
Peu après, du bleu. Du vert. L'océan et les montagnes, le haut, le bas. La pureté, la beauté, et toujours la lumière. Celle, que l'on ne fait que chercher, alors qu'il suffirait d'ouvrir les yeux. De tendre la main, de sentir la chaleur nous couvrir de frissons. Celle, que l'on ne fait fait qu'espérer, et qui nous file entre les doigts, comme ces rayons de soleils, tels des lasers incandescents, filtrant les branches cassées. Celles que l'on a cassées. Et que nous regrettons. Nous tous, cette âme gigantesque, aux milliers de visages, ces visages qui tours à tours, se parlent, se questionnent, se lamentent.
Une ligne de voix, ponctuée de silences, de regrets, une ligne tracée, de sons entremêlés comme des racines, continuant jusque dans la mort. Car mourir est insoutenable s'il n'y a rien à regretter. Malick, le poète, le cinéaste mystérieux, prend son temps, et déploie devant nos sens une seule âme, et plusieurs hommes, courant dans la nature, sous leurs casques encombrants. Des soldats, barbouillées de honte à l'idée de s'emparer de vies, où d'autres, hurlant de fierté après avoir fait jaillir les balles. Anonymes, effacés, et pourtant biens vivants, tous. Des soldats, angoissés, effrayés, qui se parlent, pour ne dire qu'une chose, pour n'exprimer qu'un regret : être ordonné de marcher dans ce monde trop sali, déjà mort. Mort et cassé, cassé comme les branches des arbres. L'arbre qui est le monde que nous détruisons, dans notre vaine recherche du paradis terrestre, que nous ponctuons de guerre. De bombes, de balles, de sang. Tout ce qui nous transforme en chiens, nous déshumanise, fait de nous les pantins absurdes que nous ne voulons pas être Alors qu'il suffirait de s'arrêter de hurler, de s'arrêter de tirer, et regarder le monde comme il est : entre deux respirations, paraissant dans sa plus évidente beauté.
La Ligne Rouge est l'histoire de ce chemin, de cette ligne que nous suivons, que ces soldats casqués suivent, las, dans leur marche difficile. Leur marche infini dans la nature hostile, touffu, luxuriante, et pourtant si splendide. La nature qui les engloutira, un par un, qui par les lianes de ces arbres, les enveloppera. Les balancera, d'un coté du monde à l'autre. Mettant ces hommes, élevés soudain dans les hautes herbes, en face de leurs pas. Les pas de leur chemin. Leur chemin vers la mort.
B-Lyndon
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le 1 nov. 2013

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B-Lyndon

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