Le guide de randonnée des illuminés mexicains.
Film complètement surréaliste tourné par un fou furieux du nom de Jodorowsky (également dessinateur de BD), La Montagne Sacrée n'est pas exempt de défauts et de lourdeurs qui rendent certains passages un peu pénibles à voir. L'ésotérisme qui baigne le film n'est pas tout le temps désagréable, mais il prend souvent le dessus sur la narration et nous empêche donc de prendre complètement part au film. Cela dit, le film dans sa globalité, et le film en tant que film, est un objet assez intéressant.
C'est l'histoire d'un "sosie" de Jésus qui découvre un alchimiste dans une tour ; celui-ci lui présente les prophètes d'autres planètes ; ils partent en quête d'immortalité, vers la montagne sacrée.
Grosso Modo.
Y a aussi une reconstitution de l'invasion du Mexique par les colons, joué par des lézards et des crapauds. Touchant.
Dans la première partie, le "christ" se démène au sein d'une dictature grouillante, abstraite, qui évoque étrangement Pinochet (le film est quasi-contemporain du coup d'Etat). Le "christ" se bat également contre des romains obèses qui vendent des figurines de son corps à des touristes américains. Ré-écriture psychédélique du mythe chrétien.
Il y a aussi quelque chose d'intéressant dans ce rapport entre l'image de l'idole et l'idole en chair et en os : même si la plupart des séquences nous apparaissent obscures et peu sensées, on voit en surface des thèmes propres à la question de la représentation des icônes religieuses. Cette idée est reprise dans la présentation des idoles extra-terrestres : ils sont montrés comme des êtres profondément étranges, méprisables, bestiaux, bien qu'industriels et politiciens.
On assiste donc à la fois à une critique de la religion en elle-même (la violence des images et la prolifération des armes, des actes de castration, de mutilation, rappelle au spectateur terrestre la diversité et l'immensité terrible des guerres de religion), et du fanatisme des croyants.
Le surplus de religion nous dégoûte de la religion.
Aucun personnage visible à l'écran, à part peut-être l'alchimiste, n'a de densité, de dialogue constructif, de substance. Ce sont des images, des figurines qui, la plupart du temps, se résument à un geste absurde, une action farfelue. Certaines, extrêmement troublantes (un vieux prêtre donne son oeil à une petite pute. yooouuu-pi.)
Mais le plus grand intérêt que je trouve dans ce film se trouve dans la dernière séquence. Il vaut donc le coup de le regarder jusqu'au bout (malgré certains passages douteux).
En gros,(spoiler) l'alchimiste et les idoles font une quête pour l'immortalité. Ce sont des êtres tout-puissants, qui ne demandent qu'à devenir des dieux immortels. Il s'agit de leur seule aspiration dans le film. Le dernier plan nous révèle la mise en abyme qui s'est opéré pendant tout le film : l'alchimiste, joué par le réalisateur lui-même, pousse la caméra à montrer l'équipe du tournage, la lumière, les câbles, le plateau. Tout était faux. Il déclare ensuite qu'il va permettre aux personnages de trouver la vraie vie...
l'illusion de l'immortalité aura donc marché. Il leur promet l'immortalité, la suprématie totale, alors qu'il sait déjà qu'ils resteront mortels.
Mon interprétation de ce twist (car mon petit doigt me dit qu'il y en a plusieurs) concerne l'objet filmique en tant que tel : la pellicule enregistre les acteurs, ici véritables idoles, dans le temps présent, et les immortalise, les grave dans la pellicule.
Les personnages, qui croyaient partir à la recherche de l'immortalité, découvrent en fait la mortalité, la "vraie vie." Ils sont immortels dans le film, car la pellicule les rend immortels, les fige dans un temps.
La quête apparente vers l'immortalité, la suprématie absolue, se retourne donc en voyage initiatique pour apprendre à accepter la mort. La mort, incarnée par la fin du film.
L'alchimiste, qui agit plus comme un illuminé, un être intemporel et irréel, trouve le spectateur grâce au christ, lui ouvre les yeux en lui montrant d'autres religions toutes plus affreuses les unes que les autres, et nous guide vers la sortie du film ; il nous ramène à la réalité, à la mortalité, en ayant eu soin de nous emmener au préalable dans les méandres les plus improbables, les coins les plus surréalistes qu'il eut pu filmer.
Une expérience artistique et existentielle, pas forcément agréable, mais intéressante.