Mon premier film de Truffaut, si vous avez vu la note vous savez déjà que j'ai adoré.
Il s'agit d'un film quasi-documentaire, d'un hommage au cinéma voulu par Truffaut, une mise en abîme : le film décrit la conception d'un long métrage, bien qu'il ne traite que de la partie la plus courte qui est le tournage (mais qui est surtout la partie la plus vivante et la plus excitante).
On apprend beaucoup sur la façon dont se tourne un film, et nombreuses sont les répliques cultes qui se rapportent au cinéma :
"Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est faits pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma"
"Qu'est-ce que c'est que ce cinéma ? Qu'est-ce que c'est que ce métier où tout le monde couche avec tout le monde ? Où tout le monde se tutoie, où tout le monde ment. Mais qu'est-ce que c'est ? Vous trouvez ça normal ?"
Truffaut incarne lui-même le réalisateur de ce film dont le synopsis est celui d'un homme quittant sa femme pour s'enfuir avec la fiancée de sa fille. Sa voix intervient parfois en voix-off pour qu'il donne son ressenti sur un évènement.
Tous les corps de métiers sont montrés : le réalisateur constamment sollicité par les autres, son assistante, le producteur qui pense à la stratégie avant tout, la maquilleuse, les régisseurs, l'accessoiriste, le cascadeur, et bien sûr les acteurs, qui vont de la star internationale à l'actrice de seconde zone.
Une réplique résume bien ce qu'est un tournage : "Faire un film c'est comme prendre une diligence, au début on espère que le voyage sera agréable, puis ensuite on se met juste à espérer qu'on arrivera à destination."
En effet, aucun film mettant en scène le tournage d'un autre film n'avait aussi bien rendu compte de la difficulté de la réalisation. Tout au long de La nuit américaine, les obstacles se multiplient : les costumes ne sont pas arrivés, une scène doit être retournée car la pellicule a été abîmée, les acteurs font des caprices, le planning à respecter...
On apprend que réaliser un film c'est plus que trouver ds acteurs et les filmer : il faut loger tout le monde, trouver de l'argent, faire constamment des choix, avoir des assurances, du matériel, respecter la loi, redoubler d'ingéniosité... C'est dur physiquement, mentalement (plusieurs personnages craquent)
Jean-Pierre Aumont résume en évoquant une actrice déçue par le cinéma, qui ne comprenait pas qu'un film est un assemblage de milliers de petits éléments, et qu'on ne peut pas tout faire d'un coup. De même, le producteur s'offusque dans une scène que dans les émissions consacrées aux vedettes de cinéma, on ne dise pas qu'une star est aussi un travailleur qui commence sa journée à 8h pour la finir à 21h.
Truffaut est exceptionnel dans son rôle qui n'en est un qu'à moitié (il faut quand même souligner que sur le plateau il avait deux films à diriger : La nuit américaine et Je vous présente Pamela). On sent son désir de réaliser un film personnel sur sa vision du cinéma et de ses coulisses, notamment avec ses flashbacks de lui enfant volant des affiches de cinéma. Tous les acteurs sont vraiment bons, surtout la sublime Jacqueline Bisset en star américaine sortant de dépression ou bien Jean Pierre Léaud tellement insupportable mais en même temps tellement plaisant à regarder (mention spéciale à sa réplique d'homme abattu par sa rupture : "Quelqu'un aurait 10 000 francs pour que j'aille aux putes?"
On a accès à ce qu'on ne voit pas lorsque l'on va au cinéma, on découvre comment les acteurs apprennent ou récitent leurs textes, comment la lumière est gérée, comment les cascades sont réalisées, la pluie, la neige, qui fait quoi sur un plateau...
On est aussi en immersion dans une équipe qui doit cohabiter, avec ses problèmes, ses tracas, ses disputes... tel une colonie de vacance ou bien Les Ch'tis à Miami. Les personnages s'entendent plus ou moins bien, couchent ensemble, mangent ensemble, se détestent... Mais chacun doit être là au bon moment quand le réalisateur crie "Action!". Par ailleurs, Truffaut souhaite avant tout le montrer non pas comme des professionnels qui travaillent pour gagner leur vie mais comme des passionnés qui vivent pour le cinéma. Exemple : quand l'accessoiriste et le régisseur se précipitent sur la TV pour répondre aux questions sur le cinéma ; cette envie permanente d'Alphonse d'aller au cinéma ou cette réplique de l'assistante réal' : "Je pourrais quitter un type pour un film mais jamais un film pour un type!"
Truffaut signe ici sans doute le plus beau film sur le cinéma, et aussi l'un des plus beaux hommages, appuyé par des scènes comme les gros plans sur une série d'ouvrages achetés par Ferrand (Truffaut) consacrés aux plus grands génies du cinéma.