Même les plus ambitieux réalisateurs, scénaristes et dialoguistes de l'époque ont fait des films à but strictement commercial. Et quelques fois ça peut donner de bonnes surprises. Ici c'est donc Jean Delannoy et Charles Spaak qui s'y adonnent. L'occupation a été difficile pour tout le monde.


C'est donc l'histoire basique d'un jeune violoniste qui tombe amoureux de la fille (Edwidge Feuillère) d'un grand violoniste qu'il admire. Le père l'écoute jouer du violon et décèle en lui un génie. Il lui demande alors de laisser sa fille tranquille, car les génies font toujours souffrir leurs proches. Lui même a râté sa vie amoureuse à cause de son génie. Le père offre ensuite trois bagues à sa fille et lui fait promettre de ne les offrir qu'à trois hommes qu'elle aimera réellement. Bien sûr elle n'aimera que le protagoniste personne d'autre.


Le sujet du musicien maudit est aussi vendeur que casse-gueule. Le personnage interprété par Jean-Louis Barrault est bien dessiné mais sa noirceur est assez pesante. Il sombre dans l'alcool, envoi bouler tous ceux qui l'empêchent de travailler, c'est très attendu. A un moment du film il accède presque à la gloire, il doit monter sur scène pour être le premier violon d'un grand orchestre. Il arrive en retard, bourré, prétend quand sans ça il n'arrive pas à jouer, et ce n'est qu'une fois sur scène, au dernier moment, face au public, qu'il renonce et qu'il s'en va. Est-ce que c'était vraiment nécessaire de forcer la note à ce point ?


La romance avec Edwidge Feuillère arrive à ne pas être trop barbante, mais dès le départ on se doute que ça va mal finir, et s'est exactement ce qui se produit. Tout est trop forcé, le drame, la noirceur, la fatalité. On pardonne difficilement au film de ne pas nous montrer les artistes incompris tels qu'ils sont, les femmes amoureuses telles qu'elles sont. Bien sûr ce n'est pas le but du film. Son but est de faire des entrées, et c'est un peu ce qui crée le malaise durant le visionnage. Avec un tel sujet, ça devrait être un film ambitieux, ça ne l'est pas, donc ça ne marche pas.


Reste quelques fulgurance dans les dialogues de Spaak, et même dans la mise en scène très soignée de Delannoy. Bon, elle est un peu moralisatrice par moment, avec le plan à la fin sur la bouteille d'alcool qui montre à quel point c'est pas bien la picolade. Curieux quand on sait que Spaak ne pouvait pas écrire sans sa clope et sa bière. Je me doute que dans un film commercial ils n'allaient pas faire l'apologie de l'ivresse, mais résumer systématiquement l'artiste maudit à l'alcoolisme c'est un lieu commun assez redondant.


Donc voilà, ça se regarde une fois mais ça s'oublie vite. Sur le même thème Jacques Becker fera mieux 13 ans plus tard avec l'admirable "Montparnasse 19".

grisbi54
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le 24 févr. 2021

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