Plus subtil qu'il n'en a l'air, La petite Vera, portrait d'une société en mutation, se sert de son personnage principal (la séduisante Natalya Negoda, dont les deux seins + paire de fesses + une scène de sexe ont attiré environ 50 millions de spectateurs en Russie) comme allégorie d'un pays situé entre deux âges, tiraillé entre l'humble respect de la tradition et la liberté vertigineuse d'un avenir incertain.


L'avenir n'est possible qu'en s'affranchissant du passé. Pour Vera, s'affirmer en tant qu'individu, singulier et libre, libéré du poids du communisme ancien, passe d'abord par le paraître, plutôt que l'être. Il faut donc, pour exister, s'éloigner de l'esthétique soviétique, trop obsolète, au profit d'une nouvelle culture, fidèle à son temps. Voilà pourquoi elle s'habille, consomme et danse comme les jeunes américains de son âge. En effet, dans une ambiance rappelant le China Girl d'Abel Ferrara (surtout la bataille des deux bandes rivales dans la discothèque), on retrouve les codes stylistiques contemporains so 80's (coupe de cheveux, accessoires, vêtements, marque, musique, produits de consommation, ...), qui d'ailleurs se retrouvent dans la mise en scène du cinéaste, prenant ses distances avec le cinéma de commande contrôlé jusqu'alors par le pouvoir despote.


Avant tout, ce qui ressort du travail de Vassili Pichoul, c'est la capacité à filmer des lieux étroits, étouffants, conflictuels et anxiogènes, parvenant ainsi à spatialiser dans cette promiscuité l'opposition inter-générationnelle et politique au centre du film. D'où ces gros plans magnifiques, brefs mais profonds portraits psychologiques et sociaux qui nous dépeignent des êtres tourmentés, égarés pour certains et révoltés pour d'autres dans un temps nouveau en train de naître. La jeunesse à la Zombies de Breat Easton Ellis (mais en version russe), désœuvrée, taciturne et intérieure, à la sexualité libérée, buvant, fumant (femmes et hommes) regardant des vidéo clips à la télé comme s'il s'agissait de leur messe, se rebelle contre l'ordre établi, osant affronter l'autorité parentale, cherchant à déconstruire ce dont elle ne veut hériter.


Malgré les moments de franche comédie à l'italienne (le cinéma de Fellini, bien sûr, y est convié) venant dédramatiser les régulières disputes de famille, il s'agit surtout d'un film tragique (pas d'issue pour les jeunes, destinée implacable) dont la fracture est le sujet principal. Fracture socio-politique mais aussi économique que représentent les nombreuses scènes au milieu de ports ou de zones industrielles fantomatiques (décors vides déjà vus dans Le désert rouge d'Antonioni), espaces parmi lesquels les jeunes, se situant dans une phase de transition entre l'ère communiste agonisante et le capitalisme qui se manifeste plus dans sa phase de consommation que de production, n'avancent pas, à l'image de ces bateaux qui ne partiront plus, échoués dans un port abandonné.


S'ils savent d'où ils viennent, vers où cheminent-ils? Voilà la question qu'on se pose pour ces jeunes, emportés qu'ils sont dans un changement radical sans transition. Cette faille dans la syntaxe de leur vie se retrouve d'ailleurs dans le montage du film qui, s'il est volontaire, traduit un surprenant amateurisme (ou bien est-ce dû à des coupures de la part de la censure?) lorsque certains plans s'enchaînent brutalement sans lien apparent. Voilà vraiment le seul point noir sur ce visage rayonnant d'une beauté froide.

Marlon_B
8
Écrit par

Créée

le 12 oct. 2017

Critique lue 361 fois

1 j'aime

Marlon_B

Écrit par

Critique lue 361 fois

1

D'autres avis sur La Petite Vera

La Petite Vera
RudyMarchal2
1

La Petite Vera...Rien!

Bon, voilà que j'avais envie de passer un bon moment et je me suis ennuyé.... Tout y est archi-mauvais, lumière, cadrage, dialogues, scénario... Si d'aucun y voie comme une critique contextuelle de...

le 16 sept. 2020

1 j'aime

La Petite Vera
Marlon_B
8

La grande fracture

Plus subtil qu'il n'en a l'air, La petite Vera, portrait d'une société en mutation, se sert de son personnage principal (la séduisante Natalya Negoda, dont les deux seins + paire de fesses + une...

le 12 oct. 2017

1 j'aime

La Petite Vera
bougnat44
4

La petite Vera dans un petit film

Le film est présenté souvent comme l’un des plus marquants de la Perestroïka (littéralement reconstruction et qui correspond à la période des réformes économiques et sociales menées par le président...

le 1 mai 2021

Du même critique

Call Me by Your Name
Marlon_B
5

Statue grecque bipède

Reconnaissons d'abord le mérite de Luca Guadagnino qui réussit à créer une ambiance - ce qui n'est pas aussi aisé qu'il ne le paraît - faite de nonchalance estivale, de moiteur sensuelle des corps et...

le 17 janv. 2018

30 j'aime

1

Lady Bird
Marlon_B
5

Girly, cheesy mais indie

Comédie romantique de ciné indé, au ton décalé, assez girly, un peu cheesy, pour grands enfants plutôt que pour adultes, bien américaine, séduisante grâce à ses acteurs (Saoirse Ronan est très...

le 17 janv. 2018

26 j'aime

2

Vitalina Varela
Marlon_B
4

Expérimental

Pedro Costa soulève l'éternel débat artistique opposant les précurseurs de la forme pure, esthètes radicaux comme purent l'être à titre d'exemple Mallarmé en poésie, Mondrian en peinture, Schönberg...

le 25 mars 2020

11 j'aime

11