Le Rêve Américain, ainsi que la face cachée de ce Rêve.

Ce film a été pour Michael Cimino un véritable parcours du combattant, fort d'une histoire improbable, se tapant la triste réputation d'échec cuisant lors de sa sortie en salles, responsable d'avoir coulé à lui seul la société United Artists (qui remonte à l'ère du cinéma muet), le troisième film du cinéaste a acquis avec le temps le statut de film culte, voir même de "merveille du septième art" et a connu une sorte de rédemption avec une nouvelle version longue remastérisée sorti il y a quelques années.
Ce sublime film maudit, que ce soit pour le pauvre Michael qui s'est retrouvé un peu exclu d'Hollywood un moment, pour les pauvres producteurs qui ont plus perdu qu'amassé, ou les pauvres acteurs, condamnés à supporter la mégalomanie grandissante et le perfectionnisme exagéré de Cimino lors des innombrables séquences de tournages, est aussi maudit pour moi. J'ai mis un moment à retrouver le nom de ce film vu une fois à la TV il y a des années (en version standard détraquée de 2h30), encore un moment à le dénicher en version longue restaurée, et encore un moment à pouvoir le regarder dans des conditions optimales (manque de temps, puis le lecteur Blu Ray de la box qui ne marche pas, et le lecteur DVD Blu Ray qui lâche, etc, etc...)
Enfin le jour du visionnage arrive, un après midi pluvieux, personne à la maison, personne à recevoir, le moment est venu !


Et le moment tant désiré est une véritable satisfaction et une expérience télévisuelle hors normes que je n'avais pas vécu depuis longtemps, car le fait est là, le film maudit de Michael Cimino est un chef d'oeuvre.
Pourquoi ? En premier lieu, le casting excellent, parce que la classe de Kris Kristofferson tout simplement, sans compter les sublimes présences de Christopher Walken, la jeune encore mais excellente Isabelle Huppert, John Hurt égal à lui même (devinez ce qui se passe à la fin), Jeff Bridges qui a décidément toujours eu la même trogne, et des têtes que je ne m'attendais pas à voir (je ne m'étais pas attardé sur le casting) comme Brad Dourif ou Mickey Rourke encore jeune et pas trop ravagé.
Un casting 5 étoiles, qui assure avec brio un déroulement d'autant plus impressionnant que sa distribution.
Car Heaven's Gate (ça a franchement plus de gueule en VO) traite d'une part sombre du rêve américain, loin de le glorifier et d'en faire une éloge puissante et très patriotique, le film fait tout le contraire, et c'est une des raisons qui fassent de lui un chef d'oeuvre. Il narre l'histoire de la guerre civile du comté de Johnson courant de l'année 1890 qui a eu lieu dans le Wyoming, inspiré de faits réels, il suit la vie (un peu romancée ici) du shérif James Averill (Kris Kristofferson), qui participa à ce conflit qui opposa les pauvres immigrants à l'association des riches éleveurs locaux, sous fond de romance avec Ella (Isabelle Huppert), tenancière d'un bordel de la petite ville de Sweetwater, sans compter qu'il s'agit ici d'un triangle amoureux (avec le personnage interprété par Walken). L'envers du rêve américain...
Le film a été taxé tout comme son réalisateur d'anti-américain, mais cela contribue au charme du long métrage, qui 'a quasiment rien à voir avec le western dit traditionnel, et qui oui, est peut être anti-américain mais est surtout anti-hollywoodien. Rien ne le place parmi le gratin d'Hollywood, que ce soit par rapport à sa narration assez chamboulée, au style de son intrigue, à son mode de production (la liberté quasi totale accordée à son cinéaste, ce qui est rare dans le milieu ou le producteur reste le roi), à son côté violent et son point de vue exposé (qui restait assez "hard" en 1981), Heaven's Gate est un OVNI, qui ne présente en rien les clichés d'un film conventionnel, ceci renforcé par la sale réputation critique et commerciale qu'il a traîné pendant des décennies. La légende du film contribue à son statut de chef d'oeuvre. Michael Cimino, adulé et adoré des maisons de productions et de la critique, fort du succès de son deuxième film, l'emblématique Voyage au Bout de l'Enfer et sa pluie d'oscars, se lance dans ce projet fou, ambitieux, dépassant le budget annoncé, accumulant les prises, les retards, ce film, par son tournage cauchemardesque et la mégalomanie de son cinéaste, symbolise une chose que j'adore au sein du cinéma et des autres œuvres en général : la démesure.
Tout dans ce film respire la démesure, la scène d'introduction, avec le discours de John Hurt devant sa promotion entière, la scène phare de la guerre civile, la reconstitution minutieuse des villes et gares de l'époque, mais surtout, les plans majestueux, ces plans montrant les grandes étendues de prairies, forêts et montagnes caractérisant l'ouest américain, ces plans,qui, je le dis en toute honnêteté, n'ont rien à envier à n'importe quel plan de Terrence Malick, car c'est put... de beau ! Ce film est sans contexte le plus beau que j'ai vu, voyez ces paysages sous fond de cette musique mythique et sublime ! Du grand art, rien de plus.


Plus qu'un film, Heaven's Gate est une oeuvre qui démystifie le mythe américain, un film lyrique et épique qui dénonce le racisme, le rejet, le fossé entre les peuples et les classes sociales, un prodige du cinéma qui reste actuellement, au vu des moyens de l'époque (exit le fond vert, la 3D ainsi que les images de synthèse photo-réalistes) , un bijou anti-hollywoodien, empreint de virtuosité et de poésie, porté par une musique magistrale, des acteurs sublimes, et des images à couper le souffle.

Tom-Bombadil
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le 4 nov. 2017

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Tom Bombadil

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