Voici donc le film qui mit fin à la période dite du nouvel Hollywood emportant avec lui la maison de production United Artists et pas mal d'illusions.


Sorti de l'immense succès critique et financier de Voyage Au Bout De L'Enfer, auréolé de l'oscar du meilleur réalisateur pour ce film et désigné comme l'un des chefs de file de ce mouvement qui réécrivit les canons narratifs et visuels du cinéma Hollywoodien, Michael Cimino se voit confier un budget pharaonique afin de mettre en scène cette relecture alternative du Naissance d'une Nation de Griffith. Etant bankable, le fameux studio créée par Charlie Chaplin et Mary Pickford, lui octroie une manne financière plus que conséquente afin de mettre sur pied cette immense projet qu'il a lui-même écrit. Malheureusement ce sera un échec retentissant et un énorme gouffre financier qui signera la fin de cette époque faste où les producteurs auront laisser la liberté totale d'agir aux réalisateurs.


Quid du film alors? On reconnaît immédiatement la pâte du réalisateur de Deer Hunter, cette sorte d'entrée grandiloquente dans l'univers qu'il souhaite dépeindre. Parfaite osmose en tradition folklorique, les danses, le côté cérémonial et modernité de la mise en scène, avec cette caméra scrutatrice qui entame un immense balai à contre sens et ses mouvements de caméra presque nauséeux qui nous font entrer dans le mouvement. Il prend le temps d'installer ses personnages et met tout de suite la barre très-trop haute. Il veut en faire voir et s'octroie une part de démesure qui prend le risque de perdre le spectateur dans ce florilège haut en couleur de délires picturaux.
Disons que cette manière d'exposer son propos a parfois tendance à s'étendre de manière excessive, souhaitant créer une sorte de prolongement du temps en le tenant suspendu à ses visions contemplatives, le script se perd parfois, on a un sentiment de cinéma en roue libre risquant de perdre le spectateur.


Visuellement c'est bluffant, les fantastiques paysages montagneux du Wyoming sont parfaitement mis en valeur, et la manière de filmer l'évolution des personnages, comme perdus dans le cadre est mise en valeur avec une grande application. Rien à dire il y a quelque chose de quasi perfectionniste dans cette mise en abîme picturale.


En amoureux du cinéma de John Ford et en parfait représentant de son époque, Cimino propose un regard quasi documentaire, n'exposant que peu d’affect pour ses personnages, même s'il expose ses préférences et cible les bons et les moins bons, il les dépeint comme des hommes confrontés à leur propre destin, des petites pièces perdus dans l'immensité d'une terre encore en construction qui provoque la convoitise et toutes les atrocité l'accompagnant.


Le personnage interprété par Kris Kristofferson représente les valeurs Fordiennes dont Cimino semble fantasmer, tout en portant un regard froidement mature et réaliste sur l'illusion de la communauté astreinte à ses propres limites. Le rêve d'une Amérique se construisant sur les valeurs des pères fondateurs s'éteignant au fil de la narration et de la progression de ses personnages.


Le dernier tiers du film est un véritable morceau de bravoure montrant une bataille filmée dans la poussière et dans une totale déconstruction chorégraphique. Comme s'il perdait le fil de sa construction, Cimino dépeint une scène complètement bordélique où tout semble se mélanger, les faux raccordements se succédant pour offrir un sentiment total de perte de repère. Mais n'est-ce pas ça la guerre ? Cette impression de ne plus savoir où aller, de perdre ses sens dans le feu de l'action.


Redondante partition d'un mastodonte à la finesse sourde et au visuel resplendissant, cette œuvre boursoufflée demeure un sacré morceau de bravoure jusqu'à dans ses imperfections, mais respire un vrai sentiment de liberté jusqu'à prendre le risque de provoquer des démangeaisons, c'est pour cette raison que Michael Cimino fut un cinéaste profondément viscéral.

philippequevillart
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le 9 mai 2016

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