L'unicité , la marginalisation , l'auteur Paolo Giordano en a fait le thème de son livre au titre quasi pléonastique, dont l'adaptation au cinéma a immédiatement suscité ma curiosité. Comme d'habitude, je n'avais pas lu le bouquin avant la séance pour ronchonner avec les spectateurs pointilleux sur la transposition à l'écran . Pour moi, film et livre doivent restés dissociés, le second découlant librement de l'autre, empruntant ou non les mêmes sentiers narratifs et stylistiques, même s'il arrive parfois qu'ils s'imbriquent en dépit de leur forme différente .
Avant de voir ce film, j'avais déjà en tête les thrillers synthé-tiques d'Argento . Je ne m'y étais pas trompée, le long métrage use ( et abuse ) des effets spéciaux "vintage" à coups de lumières , cris et musique horrifique et ultra kitsch.
C'est un genre à part, un film impair qui porte bien son nom. Le scénario ose les bonds en arrière et en avant , petit effet temporel qui n'a pas franchement plu à la presse . Et pourtant , cette chronologie disparate me parait justifiée tant elle est en accord avec l'esprit perturbé des deux héros .
Les personnages ont les traits décimés au fil de l'histoire, jusqu'à voir leur corps brutalement transformé dans la dernière partie du film ( une métamorphose qui rappelle les dures contraintes auxquelles doivent se plier les acteurs pour incarner leur rôle ) .
Lugubres et mutiques , Mattia et Alice passent des années à s'effleurer pour à nouveau s'éloigner . On y revoit , en filigrane, les traumatismes adolescents ou apparus pendant l'enfance qui ont transformé ces deux êtres isolés en individus presque autistes, coupés du monde . La force du film réside aussi dans l'interprétation des personnages secondaires : Viola , ado perverse dont la relation avec Alice demeure trouble ou la mère de Mattia ( campée par Isabella Rosselini , le grand retour ! ) , parfaite dans son rôle de mentor prête à tout pour son fils .
Comme souvent avec les productions italiennes , les images sont comme distinctes des paroles . Si les visages sont presque inexpressifs , les sentiments sont bien là , brassant l'air qui entoure les figures . La BO ( dont des chants féminins assez agaçants) alourdit d'ailleurs ces scènes ( trop) intimistes , créant finalement un équilibre presque parfait .
Cette sensation de vide , de mal être est incarnée à merveille et donne d'emblée envie de lire sa version manuscrite et originale , qui permettra peut-être de dé-chiffrer cette légèreté oppressante qui plane tout au long de l’œuvre de Costanzo.