La société américaine est une extrêmement judiciarisée et a, plus que d’autres une vision idéalisée de son système judiciaire qui fait du film de procès un genre au moins aussi consubstantiel à l’Amérique que le western et qui à son image sert de vecteur pour questionner les problèmes qu’elle traverse. C’est la forme qu’a choisi Destin Daniel Cretton (States of Grace) pour raconter l’histoire authentique (le « based on a true story » autre classique du ciné US) de Bryan Stevenson (Michael B. Jordan) jeune diplômé d’Harvard qui a choisi plutôt qu’une carrière très lucrative d’apporter une assistance juridique, dans le Sud profond, aux justiciables qui n’ont pas eu les moyens d’assurer une défense convenable et en particulier les condamnés qui attendent dans le couloir de la mort. Il va s’attacher au cas de Walter « Johnnie D » McMillian (Jamie Foxx) condamné pour le meurtre d’une jeune blanche sur la seule foi du témoignage d’un criminel (blanc). Du western on retrouve ainsi la figure du justicier arrivant dans une ville hostile et il se heurte d’emblée à l’obstacle du racisme systémique de ce Sud profond : lorsque Bryan arrive en ville, le propriétaire du local où il veut installer son bureau change d’avis ayant appris qu’ils défendraient des « assassins », il subit une fouille à nu lors de sa première visite à la prison du comté comme un criminel. La voie de la Justice est aussi un plaidoyer contre la peine de mort, d’abord contre sa pratique aux États Unis dans sa description poignante du quotidien de ses prévenus, noirs pour la plupart, qui dans le couloir de la mort attendent chaque jour la date de leur future exécution. Mais aussi contre l’inhumanité intrinsèque de cette peine quand il décrit dans le détail, le déroulement d’une de ses exécutions sur la chaise électrique : le rasage intégral pour que les électrodes soient en contact directe avec la peau , la sélection de la dernière musique et l’attention paradoxale que porte l’administration pénitentiaire au bien-être du condamné dans ses dernières heures. Creton fait monter une vraie émotion chez le spectateur avec cette séquence où le condamné est accompagné dans les derniers mètres de son existence par le raffut et les encouragements de ses compagnons d’infortune avant que la mort ne s’abatte, glaciale. Si il nous épargne le spectacle des chairs brûlées, tout se passe dans le regard du personnage qu’incarne Jordan, la scène est d’une tristesse insoutenable et évoque la saisissante dernière scène du Deux Hommes dans la Ville de José Giovanni.


Parce La voie de la Justice s’inscrit pleinement dans les codes du genre le spectateur est en terrain très familier mais entre les mains judicieuses du réalisateur et co-scénariste Destin Daniel Cretton, malgré la familiarité? le film fait ressentir une vraie urgence, semblant plus que jamais d’actualité. L’engagement de ses comédiens, les performances de Michael B. Jordan et Jamie Foxx en tête et la puissance de l’histoire vraie dont il est tiré élève le matériau. En dépit de son jeune âge (seulement 32 ans), Jordan a construit sa carrière à l’image de Denzel Washington, en jouant des personnages avec une gravité impressionnante que ce soit dans Fruitvale Station, Creed ou Black Panther , il exprime parfaitement le doute et les conflits intérieurs de son personnage. Cette gravité s’exprime parfaitement face à un Jamie Foxx, dans une de ses performances les plus émouvantes depuis son Oscar pour Ray, Foxx a une carrière hétéroclite mais quand il est à son meilleur il rivalise avec les plus grands, il est ici exceptionnel transmettant la prudence et la vulnérabilité de McMillan, sa gentillesse et sa fureur, respirant la férocité d’un homme proche de renoncer à tout espoir, d’un simple regard ou d’une inflexion de la voix. La relation entre Bryan et Walter est le moteur du film, de la méfiance face à ce jeune avocat à l’âme de justicier jusqu’à une inébranlable confiance l’un dans l’autre. Tim Blake Nelson, lui-même originaire du Sud des US est remarquable car il trouve l’humanité dans son personnage de redneck responsable de l’inculpation de McMillian qui va, au contact de Bryan, reconquérir une part d’humanité qu’on lui a toujours refusé. Rob Morgan (The Last Black man in San Francisco) fait forte impression, il est fantastique dans son rôle de vétéran du Vietnam atteint de troubles post-traumatiques qui l’ont conduit dans le couloir de la mort. Il ne nie pas sa culpabilité, et le mélange de remords, de terreur et de chagrin qu’il ressent est déchirant. Les interactions entre Morgan, Foxx et O’Shea Jackson Jr. (Straight Outta Compton) sont touchantes, montrant comment ceux qui attendent la mort essayent de soulager mutuellement leurs souffrances et leurs moments de solitude.. Ces scènes sont tout aussi écrasantes que les séquences plus ouvertement dramatiques comme les affrontements dans les salles d’audience. Ce sont ses comédiens qui permettent à La voie de la Justice de passer du film plaidoyer un peu simpliste à un portrait plus intime, immédiat et émouvant du traumatisme et des cicatrices psychiques que provoque ce racisme chez ses victimes. Il s’incarne de façon glaçante dans l’arrogance malveillante du shérif qui a mené l’enquête, (un Michael Harding terrifiant) et dans la duplicité de Tommy Chapman (Rafe Spall vu dans Jurassic World Fallen Kingdom) procureur fraîchement élu, dont la politesse initiale se transforme vite en condescendance et mépris. Il invite Bryan à son arrivée, à visiter le musée dédié à l’auteur de To Kill a Mockingbird originaire du coin et à se tenir « »à où se trouvait Atticus Finch » le héros émancipateur du roman (incarné par Gregory Peck dans son adaptation cinématographique), montrant le fossé entre l’image que veut se donner le Sud contemporain et la terrible réalité de pratiques qui perdurent bien après la fin de la ségrégation. Si après avoir refusé de réexaminer l’affaire sa position finira par évoluer c’est plus la peur de perdre sa réputation que par une vraie prise de conscience. Brie Larson en assistante de Stevenson discrète et forte incarne la seule figure blanche positive de cet Alabama infernal que décrit Cretton.


Une grande partie de l’intérêt du film réside dans la prise de conscience progressive de Bryan sur le fait que les problèmes qu’il cherche à résoudre ne sont pas seulement des cas individuels ou des erreurs accidentelles dans le processus noble de la Justice avec un grand J mais sont le résultat d’un climat omniprésent de peur et d’inégalité né de siècles d’oppression. C’est bien parce que Johnny D, propriétaire d’une entreprise de pâte à papier, était indépendant économiquement, et parce qu’il avait eu d’une liaison avec une femme blanche, transgressions inacceptable des tabous raciaux pour le shérif et ses administrés, qu’il fut la cible de cette injustice. C’est ce message que le film tente de faire passer à travers l’humanité de ses personnages. Propulsé par une belle partition musicale de Joel P. West, dénonciation de la peine de mort et du racisme endémique de la société US si La Voie de la Justice adopte la forme très classique du film de procès « basé sur une histoire vraie » marque par la force de son histoire, la justesse de ses acteurs et la rigueur naturaliste de sa mise en scène.

PatriceSteibel
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le 7 avr. 2020

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