Objet pop, sensuel et érotisant, La femme en question s'inscrit dans le sillon libertaire (et libéral, l'un va difficilement sans l'autre) de mai 68, de la révolution sexuelle et de l'émancipation de la femme.


On pourrait d'abord presque se méprendre sur les intentions de l'auteur, le mystérieux Jacques Katmor, cinéaste israélien dont c'est, semble-t-il, le seul et unique film. La femme en question est-il un film féministe ? Dans ce cas là, comment expliquer le désir cannibale et communicatif de Katmor pour les corps de ces modèles ?


Parce qu'il s'agit bien de cela : Katmor est un homme et, au regard de ce qu'il met en scène, il est violemment et passionnément hétérosexuel. Katmor est obsédé : il filme les corps des femmes jusqu'à en épuiser les contours et les formes, multipliant les perspectives, usant et abusant des gros plans, des jeux d'ombres et de lumière, dans une suite de plans très saccadés, d'inserts photographiques esthétisants, d'images de comics tendance bondage et SM. Les silhouettes se dévoilent, s'empoignent, se bousculent, tout le long de cette heure vingt de cinéma érotique et expérimental.


Comment prétendre revaloriser la Femme en la sexualisant systématiquement ? N'est-ce pas là une forme de réification de la féminité toute entière, perçue par le prisme des désirs de l'homme ? Et pourquoi cette fascination pour les corps malmenés ?


Ce serait faire un faux procès au cinéaste et faire l'impasse sur deux éléments fondamentaux. De une, il n'est pas question ici de la Femme mais d'une femme. Une femme que Katmor dénude selon tous les angles possibles et imaginables. Plus important encore, c'est oublier la dimension à la fois formaliste et charnelle de ce cinéma-là, c'est oublier que Katmor, dont le travail préfigure très étroitement le Alain Robbe-Grillet de la belle époque (L'Immortelle, L'homme qui ment, Trans Europ Express) ne cherche pas à faire de la psychologie. Ce qui l'intéresse ici, c'est de capter la beauté intrinsèque du corps de la femme, quitte à partir de vignettes dogmatiques et connues. Et pour la capter, le cinéaste ne fait pas dans la demie-mesure : par la succession des perspectives, par la juxtaposition des plans, il filme la chair jusqu'à la consommer totalement, quitte à la molester, quitte à la mutiler, quitte même à tuer. Dès lors, pas étonnant que le film se termine par un meurtre. Devant la caméra, il n'est alors plus question que de fantasmes et de désirs inassouvis.


Le plus étonnant reste probablement la manière dont le film fait basculer son imagerie pop (féminité svelte, grande et fine, clopes, comics) vers quelque chose de plus beau, de plus abstrait et de plus noble ; comment transformer une icone publicitaire en véritable objet d'art, par la force du montage et du gros plan. Les cadres sont tellement inattendus, la profusion d'images tellement insolite, que ce qui n'aurait pu être que du clip érotisant se mue rapidement en un bel et précieux ouvrage de cinéma.


De la sous-culture à la sculpture classique, du nu artistique au bondage, de l'ombre à la lumière. Chapeau bas.

Nwazayte
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le 12 janv. 2016

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