Quand James Gray se lance dans le cinéma, en 1994, avec Little Odessa, il livre un premier film formidable, tout en retenue, violence contenue, délicatesse même, dans la mise en scène. Des ombres sur les murs, des regards qui se croisent, des silences entre deux frères, c'est bouleversant et intimiste.


De ses films suivants, j'avais vu Two Lovers, ou Joaquin Phoenix se débattait entre les conventions familiales qui l'attachaient à sa fiancée, et son propre désir pour sa jolie voisine. Encore une histoire de famille, donc. Ici, Phoenix, toujours, confronté à son père et son frère, policiers tous deux, doit renaitre de ses cendres. (Oui, j'ai retourné la phrase trois fois dans ma tête pour pouvoir la faire.) . Leurs mondes sont séparés, là où les uns sont rangés, avec femme et enfant pour le frère, l'autre travaille dans une boîte de nuît, sort avec la sculpturale Eva Mendès et a pris le nom de famille de sa défunte mère. Quand les hommes en bleu lui demandent un coup de main sur une affaire en cours, Joaquin se retrouve malgré lui à la croisée des chemins. Que doit-il faire, aider les siens? Qui sont les siens?


Pour rendre l'histoire de cette famille-ci, la caméra de Gray est moins intimiste que sur ceux cité ci-dessus. Si la première scène nous plonge d'emblée au cœur des ébats entre Joaquin et Eva, l'univers de la boîte de nuit et celui du commissariat élargit automatiquement l'angle de vue, même si inspecteurs ou collègues de travail nous sont présentés comme une extension du cercle familial. Marat, le patron de la boîte de nuit, est un père de substitution pour Bobby. Michael, le collègue du père et du fils, parait lui un oncle...


Dans ce contexte, je dois avouer ne pas forcément avoir senti la patte Gray sur ce film. Du moins pas autant que dans les deux autres. Je n'ai pas eu ma dose de silence glaçant, ce qui fait que je n'ai pas autant adhéré qu'Odessa sûrement. Je ne me suis pas sentie enfermée par la caméra, je n'ai pas suffoqué... Mais tout ce que la caméra ne fait pas, Joaquin Phoenix le donne. Les silences, la souffrance, les dilemmes, la puissance des sentiments, c'est dans son visage qu'on le voit, dans son corps qu'on le sent, dans ses relations avec Eva, avec papa Robert Duvall, ou Mark Warhlberg. Les acteurs, à l'unisson, jouent toute en finesse, personne ne nous sert de caricature grossière du flic droit dans ses bottes, ou de la superbe "créature de boîte de nuit".


James Gray n'est pas un réalisateur social. C'est la cellule familiale qui l'intéresse, et à l'intérieur de cette cellule, l'humain. Et pour peindre ses histoires, il sait s'entourer de grands acteurs.

EIA
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le 18 avr. 2015

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