"Le bonheur s'additionne" et quand il tombe à l'eau, on va le cueillir ailleurs

Premier film d'Agnès Varda que je vois, une légère appréhension me guette: je ne voudrais pas passer à côté du cinéma de cette femme qui a l'air tellement pleine d'énergie... Canal propose dans son catalogue Le Bonheur, ça m'a l'air d'être une chouette porte d'entrée vers l'univers de Varda.


Ce qui m'a clairement frappé durant le visionnage, c'est sans aucun doute la malice technique du film: entre ce qui est dit, ce qui est montré, les fondus au cours du film ou la scène d'introduction avec des tournesols qui semblent comme dialoguer et annoncer la destinée future du couple, c'était aussi agréable que jouissif à regarder.
La meilleure scène illustrant tout cela est selon moi le rendez-vous au café de l'homme avec son amante. Je ne sais pas comment Varda a fait pour me donner cette impression mais la tension est géniale et maîtrisée: il semblerait que tous les couples autour soient des amants, à chaque plan du dialogue, un élément d'arrière plan rajoute de l'interdit à la situation. Des panneaux "Mystère" ou "tentation" à la bouche d'incendie, la mise en scène est vraiment belle et utile.
Puis c'est franchement agréable de voir une mise en scène qui résonne bien avec la Nouvelle Vague sans paraître incompréhensible (ce que je ressens lorsque je regarde quelques Godard, parce que je ne me suis pas encore intéressé en détail au type...). C'est frais, les thématiques abordées sont super précurseuses, on a presque toute la philosophie de mai68 si c'était résumé à de l'amour.


Quant au propos de l'oeuvre, je le trouve lui aussi, très intéressant. J'interprète personnellement ce film comme la confrontation de deux conceptions du bonheur. Si on veut faire les baratineurs, on pourrait y voir une inspiration aristotélicienne mais on s'en branle. D'une part, le personnage principal, qui voit le bonheur comme une addition (Bonheur = A+B+C). D'autre part, sa femme mais aussi son amante par moment, qui voit le bonheur comme une multiplication (Bonheur=AxBxC).
C'est très intéressant car cela signifie que l'homme va trouver du bonheur dans sa vie dans différentes sources indépendantes, là ou les femmes qu'il aime voient leur équation dépendantes des autres valeurs, ce qui signifie que dès que quelque chose se passe mal avec la valeur A par exemple, le bonheur réduit.
C'est vraiment génial parce que la plupart des gens pensent comme les femmes du film et c'est assez logique, le polyamour ne semble pas quelque chose vers lequel nous allons naturellement, l'exclusivité du couple est un élément social très fort dans notre société. Et ici, Varda dynamite ces codes de l'amour en nous montrant que c'est vraiment con l'exclusivité parce que ça rend les gens tristes très vite (cf le sort de la pauvre mère et première femme du mari) alors que le mec, ben il cultive son tournesol au jour le jour et à l'arrivée, c'est lui qui aura été le plus heureux dans sa vie. C'est simple comme bonjour et pourtant on continue à avoir une conception strictement exclusive de l'amour, comme si c'était pas si simple en fait...


Bref, Agnès Varda m'a ébloui avec ce film. C'est beau, ça raconte quelque chose d'intéressant, c'est beaucoup trop précurseur et ça se savoure comme une pâtisserie. A découvrir très vite!

morenoxxx

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