Le bruit des glaçons frise le chef d’œuvre. C'est un film profondément dérangeant, qui allie irrationnel, sentiments, et psychologie à des vérités brutes, du pessimisme, et une critique de la société actuelle. (Je vais spoiler par moments attention)
Le film entier joue sur l'absence de logique par laquelle est éclairé le scénario.
Les médecins sont imbuvables, violents, incompétents et lâches (on remarquera d'ailleurs que tout se passe en dehors de la maison est nocif, les analyses médicales étant dangereuses, anticipées par la maladie, et extérieures, l'incarnation du cancer du protagoniste et le journaliste insensible arrivant également de dehors,...) alors même qu'ils sont censés aider le protagoniste.
La bouteille de vin blanc présente au quotidien est en revanche rassurante, l'alcool n'empêche pas Charles Faulque de réfléchir, c'est l'une de ses qualités que sa servante absorbera littéralement. Le cancer va tuer le bonhomme à ses yeux, mais le vin l'aide à tenir le coup.
Flash backs, paroles adressées à la caméra, présent, passé, dialogues avec les personnages imaginaires (y compris en présence du médecin de famille incompétent sans qu'il tilte !), tout est mélangé. Le film cherche à bouleverser le spectateur, à rendre absurde tout recul sur les événements.
Ensuite, il tend à choquer par la psychologie des personnages, et le déroulement des péripéties.
Pour cela, il assène des vérités crues : la servante couche avec le fils du protagoniste (qui a 16 ans) par manque affectif, protagoniste qui sombre dans l'alcoolisme, accepte plusieurs fois sa mort proche, et a recours a une prostituée russe,...tous ces éléments laissant les personnages indifférents. Faulque se rend compte que son fils couche avec la femme qu'il s'est mis à aimer ? Il rigole, et on zappe. L'alcool ? Bah on continue, peu importe. La servante follement amoureuse de Faulque constate qu'il fréquente une magnifique prostituée ? Elle avoue simplement être « un peu jalouse » et reste soumise à son métier (c'en devient son unique fonction à ses yeux). Faulque est devenu alcoolique depuis le départ de sa femme. Que pensez-vous qu'il va faire quand elle va passer déposer/chercher son fils ? Bah l'envoyer se faire voir, avec politesse, en expliquant qu'il la verrait dans les yeux de son fils. BORDEL. Ils sont plus morts dans l'âme qu'en vrai !
Et voila que Bertrand Blier qui a écrit le film nous évite une fin malheureuse (une tromperie digne d'une comédie de bas étage, et paf les cancers disparaissent) sur Ne me quitte pas de Jacques Brel. UNE BELLE FIN, SUR DU BREL.
Concrètement ce qui différencie cette comédie macabre filmée d'un navet aléatoire, c'est ce qu'elle dénonce : l'individualisme et la conception détournée que les gens ont de leur travail dans la société. Les personnages incarnant les cancers sont des fonctionnaires prêts à tuer sans aucune pitié, dont le métier leur a ôté tout sentiment (la servante est d'ailleurs victime de sa profession comme expliqué plus haut). Le journaliste tient à montrer Faulque trébuchant par terre ivre mort, et à clamer son cancer dès qu'il apprend que le pauvre homme est malade. L'ex-épouse part avec son fils, et ne le laisse pas revenir avant plusieurs années, par égoïsme plus que par égard pour son enfant. Faulque avoue être en permanence saoul, et avoir été écrivain dans le même temps. Son ancien métier a pour lui moins de valeur qu'une bouteille de vin blanc. Le chirurgien qui refuse de prendre une responsabilité en opérant Faulque, et le frappe avec sa tête dès qu'il proteste, tout en lui prescrivant un calmant avec sang froid, montre son détachement de tout ce qui est humain (pas de prises de risque pour sauver quelqu'un, mépris, violence,...). Les professions en question ne sont évidemment pas visées personnellement, mais la conception de nos actions dans la société lorsqu'elles sont rémunérées.
Seuls Faulque et son aimée expriment de vrais sentiments, et ce maladroitement tellement cela leur semble étrange, peu naturel (les cancers s'en étonnent, ne comprennent pas). Ces sentiments sont d'autant plus vrais qu'ils ne sont pas « innés » : Faulque met beaucoup de temps à voir le personnage du cancer de sa servante (qu'on ne peut voir que si l'on aime vraiment une personne comme expliqué au début du film), et lorsqu'il se rend compte qu'elle voit son fantôme mutagène, il n'est pas capable d'aller converser avec elle tant il est perplexe. Cela marque un immense fossé avec toutes les comédies françaises avec des amours idéalisés et instantanés.
Un magnifique film donc, pour peu que vous appréciez le vin blanc.