J'avais un furieux a priori avant d'entrer dans une salle dont j'étais convaincu qu'elle s'emplirait de 50 anticapitalistes du Front de Gauche mais aussi de fans de Costa-Gavras (avec parcimonie). J'avais vu la bande-annonce, j'avais vu Gad Elmaleh dans le rôle titre, je me disais "encore un comique qui cherche sa légitimation auprès du public en jouant des rôles graves". Mais ce n'est pas rebutant en soi. Ce serait même une bêtise que de se baser sur une bande-annonce et sur le jeu ou le nom d'un acteur dans cette bande-annonce. Ce serait oublier, par exemple - je ne sais pas moi - le metteur en scène (à tout hasard).

Une certaine presse, habituée à jauger les mainstream et à promouvoir l'aliénation, descend le film. Littéralement. Si c'est pas Elmaleh, c'est le sujet. Et si c'est pas le sujet, c'est la forme.

Je les renvoie tous dos à dos parce que, s'il y a bien un film qu'il nous faut, à nous, travailleurs et aspirants travailleurs, c'est bien un peu de didactique et de fluidité. C'est un film nécessaire. A partir de ce postulat, nous pouvons discuter.

Costa-Gavras ne veut pas filmer la colère. Ce serait facile. Filmer l'indignation, la paupérisation. Rien de plus facile. Au contraire, il choisit d'adapter le roman éponyme de Stéphane Osmont avec ce personnage cynique, requin et touchant. Le film recèle de symboles. Ce personnage en est le premier : il est le symbole de la classe montante qui détruit toutes les classes, et même le symbole du capitalisme lui-même, de son fonctionnement. Autrement dit, il est là pour faire accepter à tous que l'entreprise capitaliste, si elle veut survivre, doit à tout prix conquérir de nouveaux marchés, elle doit remplacer le capitalisme à la papa par une offensive "acceptable" contre les travailleurs.

Marc Tourneuil est un symbole et son cynisme est une décompensation symptomatique des coups qu'il porte, à l'ancienne classe comme à ceux qui sont hors-champs (et dont on parle abstraitement ou dans la distance), les spoliés de leur propre travail. Tout au long du film, il n'accepte rien mais il le fait. Il est le capitalisme qui parle, qui se fait comprendre, qui baise la croissance quand ça lui chante. Et la croissance se laisse faire. Même quand cette chienne de croissance se fait baiser, qu'elle est à saturation de se faire baiser, le capitalisme est toujours en chaleur. Il cherchera à aller plus loin : dans l'illégalité, dont le triomphe est salué par l'Elysée et leur idée du Juste mais aussi dans la surenchère du risque.

Sur la forme, je n'ai rien à redire sur le jeu, la mise en scène teinté d'humour et de profondeur. Elmaleh fait le job. Tout est constitué de sorte à ce que le propos du film soit à la fois attirant, captivant et accessible à tous. Je crois que je ferais plaisir à Costa-Gavras si je disais qu'il vient de faire un film de propagande contre le monstre invisible de la propagande permanent du capitalisme. Il vient de faire la différence entre la démagogie et la manière de rendre accessible. Evidemment, il met en forme une manière de faire du capitalisme, un petit bout de la lorgnette, la manière la plus abjecte, la plus inhumaine que même l'humain qui dort dans Marc Tourneuil trouve inacceptable. Evidemment l'attaque de la financiarisation de l'économie est un raccourci tapageur mais le Capital s'y rend toujours et ceux depuis le XIXème (avec les mêmes paniques collectives, les mêmes bank run dus Coinage Act).
Ce que le cynisme de Tourneuil suscite dans la conscience des spectateurs est un gain qu'il est toujours bon de motiver mais il serait abusif de penser que Costa-Gavras et que tous ceux qui ont contribué à ce projet se portent garant de cette motivation. Je ne suis même pas certain que le réalisateur ne veuille que dénoncer ou se donner une conscience morale et vertueuse tant il a à coeur de démontrer l'inéluctable et inhérente trajectoire du Saint Capital. Le fait que, par exemple, les capitalistes agissent comme des mafieux upper-class est une démonstration objective en soi, une adaptation holiste de l'humain au système qui l'environne et dont le système a besoin pour survivre.

Ce "Capital" est une synthèse compréhensive et compréhensible du fonctionnement de notre système... Et je ne connais aucun film qui le critique avec autant de clarté même s'il caricature et ne dit pas que le capitalisme vertueux est un mensonge. Les personnages de Céline Sallette et celui du père sont des propos qui apparaissent parmi les plus intègres de la classe laborieuse mais sans critique véritable de l’entièreté du capitalisme. A ce titre, le titre du film tronque la réalité du film et aurait du s'intituler "Le Capital Sauvage" ou encore "le capitalisme par le petit bout de la lorgnette". Pour ma part, le capitalisme sauvage et le capitalisme "à la papa" aurait du être traité sur le même plan si Costa-Gavras avait voulu créer un film-manifeste - ce qu'il tente de faire. Il est un film profondément et moralement incomplet du fait de son idéologie.
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le 12 nov. 2012

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le 13 nov. 2012

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