« Dis-moi ce que tu lis et je te dirai qui tu es. Dis-moi ce que tu aimes et je te dirai qui tu es. Dis-moi ce que tu écoutes et je te dirai qui tu es... » Il faut bien avouer qu’on en dit sans doute encore plus long sur soi que sur l’objet de son commentaire, lorsque l’on reconnaît avoir aimé ce film...


Mais comment ne pas tomber sous le charme de cette romance, adaptée du roman épistolaire américain de Mary Ann Shaffer et de sa nièce Annie Barrows, « Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » (2008) ? Né de la fascination de Mary Ann Shaffer pour l’île de Guernesey et l’histoire de son Occupation par les Allemands durant la seconde guerre mondiale, le texte original explorait le phantasme de la rencontre, par une femme écrivain, de son lecteur idéal... C’est l’actrice Lily James qui est chargée ici d’incarner ce personnage de femme artiste, Juliet Ashton. Si l’on craint dans un premier temps que la jeune femme ne dispose pas de la profondeur nécessaire pour incarner un écrivain, on est vite séduit par sa fraîcheur et la spontanéité cristalline de son rire ; sa sensibilité presque enfantine, très réceptive, finit par permettre une adhésion à son personnage de créatrice tournée tantôt vers un réel inspirant, tantôt vers l’imaginaire.


Son départ de Londres, qui l’éloigne d’un fiancé américain certes charmant, mais un peu trop volontariste (Glen Powell), et lui fait aborder Guernesey, par bateau, en 1946, la met au contact de toute une galerie de portraits plus attachants les uns que les autres : tout d’abord Dawsey Adams (Michiel Huisman), le mystérieux correspondant, membre du « Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » qui a provoqué sa venue sur l’île ; personnage oxymorique, unissant en lui l’exercice puissant et prosaïque de sa profession d’éleveur de porcs à une grande finesse d’âme et une réelle sensibilité littéraire ; autant dire que l’attirance, entre les deux personnages, est immédiate, et presque communicative... Ce couple phare est cerné de paires d’yeux bienveillants, manifestant les mêmes qualités humaines et morales que les héros : le vieux receveur des Postes Eben Ramsey (Tom Courtenay), merveilleux de gentillesse un peu malicieuse, son jeune employé Frank (Tom Owen), aussi vif que dévoué, la solitaire et charmante Isola Pribby (Katherine Parkinson, en rousse bouclée...), l’intense et sensible Amelia Maugery (Penelope Wilton), d’abord un peu réticente, mais vite apprivoisée par la jeune auteure et finalement disposée à lui livrer ses secrets les plus intimement douloureux. Car une grande absente sera également très présente, au sein de ce cercle non brisé dans sa fidélité affective : Elizabeth McKenna (Jessica Brown Findlay), à l’origine de l’enquête dans laquelle va se lancer Juliet ; investigation qui prolongera son séjour sur l’île, la ramènera aux années, encore récentes, d’Occupation allemande, et lui livrera le secret de la naissance de Kit, adorable fillette blonde élevée par Dawsey, qu’elle nomme « papa » sans que celui-ci soit véritablement son père... Un seul personnage est dépeint sous un jour défavorable, la logeuse de Juliet (Bronagh Gallagher), mais son esprit étriqué et son goût mal dissimulé pour les commérages se révèlent bien utiles à la progression de l’intrigue et à la divulgation de certains pans de la réalité.


L’homme a besoin de rêves. Et, pourquoi pas, de rêves heureux... Quel lieu, mieux qu’une île - par sa soustraction au monde, son caractère insituable, la présence ceinturante de l’eau... -, serait-il capable de les porter ? Au moyen de ses dialogues alertes, très britanniques, de ses images soignées, un brin désuètes, captées par Zac Nicholson, de l’émotion qui se dégage aussi bien des moments de bonheur que de nostalgie, des sourires qu’il fait naître, Mike Newell est parvenu à faire entrer un grand nombre de ses spectateurs dans le cercle magique de cette communauté de lettrés... À preuve, les applaudissements qui, sans qu’aucun invité soit présent, éclatent spontanément à la fin des projections...

AnneSchneider
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le 19 juil. 2018

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Anne Schneider

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