Je viens de lire Les Faibles et les Forts. C'est un livre où l'auteur Judith Perrignon fictionnalise les vécus de victimes d'un fait divers réel (6 ados noirs se noient dans une rivière en 2010) pour mieux déconstruire et expliciter un phénomène de société - le racisme et les préjugés envers les noirs aux États Unis. Cette façon de mêler fiction, réalité, et analyse sociétale grâce à une narration intelligente, m'a direct fait penser à Valse avec Bachir. Ma came. Et c'est comme ça que j'en suis venu au Congrès, second film d'Ari Folman, que j'avais complètement raté à sa sortie.
Ari Folman y conserve les aspects suscités; Le Congrès commence par extrapoler l'opposition entre "vrai" cinéma - ici les acteurs et leur image; ce qu'ils apportent à un rôle - au cinéma "artificiel", où les effets spéciaux sont sensés créer l'émotion. Singer le réel puis le réécrire numériquement. Des majors en possession totale des œuvres, une fois le facteur humain numérisé. La possibilité de créer en théorie, n'importe quoi. Un Cinéma post Avatar en somme. Le Congrès applique ce postulat à une actrice bien réelle, Robin Wright. Puis, assez vite, le futur dématérialisé qui en découle donne lieu à une réflexion sur notre société, nos comportements, notamment notre rapport à l'image, à notre liberté d'action à travers l'impersonnalisation. Être qui l'on veut. Devenir anonyme à travers une façade publique, une image. Un anonymat qui donne accès à la liberté. D'expression, d'imagination. Une imagination bridée cela dit par le fait d'être incapable d'imaginer autre chose que ce qui existe déjà. Rien n'empêche alors d'imaginer quelles révolutions (celle de la technologie ? Celle de la société à travers la technologie ? Celle des faibles contre les forts ?) permettraient de faire basculer le monde vers une dystopie. Le Congrès, en explorant toutes ces pistes assez profondément, est donc un film thématiquement riche, extrêmement riche même... Qui malheureusement ne s'incarne pas totalement dans le matériau cinématographique, ne sachant gérer son rythme (temps morts versus climax émotionnels), sa narration (très éclatée), son esthétique et son identité visuelle (cartoon façon Tex Avery pour décrire des motifs et personnages futuristes, ça sera au goût de chacun).
Il me restera en tous cas au moins un passage, celui de la "transition", ce passage où le personnage d'Harvey Keitel délivre un touchant monologue générant de magnifiques émotions sur Robin Wright. Une scène finalement emblématique du film. Toutes ces choses, toutes ces réflexions sociétales ne sont rien par rapport aux émotions qu'une simple histoire bien racontée peut provoquer en nous.