Un air d'harmonica, quelques enseignes : voici Poelvoorde transformé en cow boy des zones commerciales, far away from home. Sauf qu'il n'a pas de home : punk parasitaire des parkings paumés, cas social érigé au sommet du moi de l'acteur, antipathique et pathétique, il devrait choquer et décevoir. Pourtant on se rend bientôt compte que chaque coupure menace de déclencher un fou rire.
Delépine et Kervern ont quasiment fait leur film en caméra cachée. Le ton à la Baffi, proche du quotidien, lourd mais faisant sentir bizarrement léger, a des airs d'expérimental qui a séduit Un Certain Regard sans surprise, ce qui redore le blason du prix à mon égard car il y a une différence sensible entre la découverte de la vie de tous les jours chez des éleveurs islandais de moutons qui vivent de la nature, et celle des cuistres vivant sur le dos de la société.
Osant l'ironie documentaire, parfois purement comique, Le Grand Soir a un goût qui est nouveau à Cannes. Son passeport : sa qualité critique de la société en proie à la crise économique, monstre qu'on trouve ici concentré. Tous ces gens vivant derrière et grâce à de grandes enseignes de magasins semblent captifs du système. Ils vivent à peine et attendent qu'on vienne à eux. Nulle place même pour les rêves, car les logos et les parkings deviennent une rengaine fiévreuse à laquelle il nous est pour une fois impossible d'échapper.
Les réalisateurs ont inventé la ridiculisation par littéralité, l'ironie au premier degré, le sarcasme sans sous-entendu. Le film est parfois insupportable, mais il a du génie pour ça.
→ Quantième Art