Conçu à la fin des années 1960 par De Sica afin de dénoncer le retour de milices fascistes dans les provinces italiennes, ce film (adapté d'un roman éponyme de Giorgio Bassani publié en 1962) tranche assez avec les autres long-métrages du metteur en scène que j'ai pu voir. Il en effet assez étonnant de voir la figure de prou du Néo-Réalisme italien s'attaquer à un tel projet, dont le sujet respire autant le classicisme, le lyrisme et le romantisme. Au-delà de l'intrigue, la réalisation est là aussi bien éloignée du Voleur de Bicyclette : s'intéressant davantage aux grandes familles et leurs intérieurs luxueux au profil de la classe moyenne et les milieux urbains, le tout chargé d'un fort symbolisme : De Sica se métamorphose et se rapproche d'un Visconti. Est-ce un mal ? Le film est loin d'être parfait : la seconde moitié du film essaye au maximum de voir les personnages traverser la Seconde Guerre Mondiale, les ellipses sont alors nombreuses et toute la représentation du quotidien durant le conflit n'est pas franchement réussie. Cela va bien trop rapidement et le poids de l’histoire est ainsi bien trop compliqué à ressentir. On notera malgré tout des dernières minutes en revanche particulièrement fortes et puissantes d’une part du point de vu émotionnel mais d’autre part du point de vu de l’image : le réalisateur semble enfin laisser libre court à son talent avec un montage bref, cutant de manière violente et accompagné d’une magnifique musique. Autre point faible, et cette fois-ci pas exclusif à une partie ou une autre : récurent à travers le film, les flash-backs sont sans doute la marque ultime du classicisme qui embaume la réalisation, filmés le plus souvent avec un filtre lumineux, ils relèvent d’un certain raffinement mais se relèvent lourds à force et surtout inutiles.
En contraste, la première moitié du film relève de la quasi-perfection : voyant peu à peu le retranchement des familles juives, De Sica magnifie cette jeunesse subissant l’Histoire et dont les espoirs et les ambitions se fracturent peu à peu. Nous avons là affaire à une véritable fresque, mettant sur un pied d’égalité histoires d’amour, réunions familiale et parties de tennis. Le jardin est véritablement au cœur de cette moitié – pour peu à peu disparaître dans la suivante, représentant tour à tour les souvenirs d’enfance de Micól et Giorgio, l’Éden où ce dernier pense pouvoir revivre son idylle avec celle qu’il aime et enfin un Paradis perdu où cette génération voit ses espoirs devenir fantasmes. Le jardin finit par devenir un ghetto doré où la jeunesse juive qui se retrouve enfermer dans ce lieu, n’ayant plus aucun autre endroit pour faire du sport ou étudier. Tout autant classique que la seconde, cette première partie est cependant empreinte d’un sentiment de nostalgie d’une telle force et d’une telle beauté que l’on en oublie la politique et se focaliser sur ce monde au bord de l’implosion. De Sica filme le tout avec délicatesse et volupté, présentant peu à peu le cadre comme un tombeau pour tous les protagonistes. Pleine de nuance, cette première moitié aborde au final avec une émotion d’une douceur incomparable un pan très peu représenté au cinéma du fascisme en Italie et de son imprégnation dans les villes de province. Il est ainsi dommage de voir les flash-backs se greffer à ce tout puisqu’ils n’aident pas à expliciter un passé déjà évident à comprendre et qui aurait sans doute gagner à être davantage fantasmé par le spectateur.
Le Jardin des Finzi-Contini est-il un bon film ? Oui évidemment que oui, en plus de cette première partie exemplaire que ce soit sur le fond que sur la forme, le long-métrage se voit offrir une combinaison de comédiens resplendissants, aidant le metteur en scène à magnifier cette génération perdue. Habitué au cinéma de Visconti, Helmut Berger incarne ainsi l’un des personnages principaux, un choix logique compte tenu de sa filmographie, mais malgré la lumière qu’il renvoie, il est éclipsé par le duo vedette : Dominique Sanda et Lino Capolicchio. Si je connaissais la première, le second m’était inconnu : ensembles, les deux forment un couple tragique et resplendissant d’humanité. Le personnage de Micól est d'une grande beauté morale, ses décisions à travers le film sont fortes et montrent sa lucidité quant à la situation. Mêlant une esthétique onirique, des décors naturels emprunts d’une certaine personnification, des personnages puissants qui deviennent peu à peu conscient de l’écroulement de leur paradis, ce long-métrage – et ce malgré ses défauts, est sans doute l’une des plus belles découvertes que j'ai pu faire au cours de ces derniers temps, tant sa puissance est incontestable.