L’Œil. Mécanique. Fabulateur. Qui capte et enregistre, en travers les reflets de quelques miroirs, l’essence de son propre désir. C’est une histoire de regards. Le filmant, en l’espace d’un instant, devient filmé. L’auteur et le sujet ne forment plus qu’un seul et même individu. Et par le biais d’une caméra qui se fera l’outil, le stylo, écrivant pages après pages, plans après plans la décadence de son porteur, toute la perversité de son dispositif se dévoilera lentement, à la faveur d'un réel teinté d'opaque et d'amer. Tantôt journal, tantôt essai. Jonglant perpétuellement entre le vrai et le faux. C’est le jour et la nuit se chamaillant la splendeur d’un crépuscule. C’est l’éclair, vif, parcourant la rue d’en face, décorée de fenêtres de papier et sur lesquels se dessinent, les ombres de l’envie. Longeant les bancs publics, devenus par la force des choses, le théâtre de la rêverie des anciens. C’est aussi un regard, pris de remords, défiant le sentiment d’une existence incomplète, insatisfaisante. Celle de David Holzman.


14 juillet 1967. Tout juste remercié de la boîte qui l’employait et désormais apte au service américain, ce jeune new-yorkais va s’employer à réaliser quelque chose. Un projet qui lui tient à cœur depuis trop longtemps. Un témoignage ardent, qu’il veut sincère. Un produit digne du cinéma-vérité qu’il adule. Un résultat digne des plus grandes maximes godardiennes. En somme, un objet cinématographique. Et pour quelle raison ? Est-ce un véritable travail d’introspection ou bien un nombrilisme aux accents d’esthète ? Ses motivations transparaîtront entre les images, comme se révèlent, parfois, celles se nichant dans l’insistance d’un regard. Voyageant entre une naïveté et une confusion aussi touchante que dérangeante, c’est une errance qui se maquille en aventure. Et c’est ici que réside l’esprit malin de Jim McBride. Articulant son film autour d’une quête idéaliste et acharnée, il démontre avec ingéniosité que les codes du cinéma direct sont autant de pièges que de possibles quant à la captation du réel, du spontané, du supposé vrai.


Retirer de la banalité du quotidien le voile des apparences. Tenter d’en extraire délicatement la substance de l’extraordinaire. Déceler dans les bribes de l’ordinaire, dans les mouvements du corps, dans les paroles adressées, dans les réactions timides et passionnées, un sens. Un sens profond. Bien plus fort que tout le reste. Un reste que l’on méprise, que l’on délaisse, simplement par honte de l’ennui… Et est-ce bien réalisable ? Filmer sa vie, c’est s’en extraire ; filmer celle des autres, du voyeurisme. Quant à la vérité, elle ne peut être absolue.

Manco_El_Guións
7

Créée

le 9 oct. 2016

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Manco

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