Un film qui sert convenablement en pédagogie

L’année dernière, Lee Daniels (réalisateur de Precious) avait marqué les esprits, et pas véritablement dans le bon sens. Surtout lors du Festival de Cannes où son film de l’époque, Paperboy, fut hué par le public. Et pour cause, le long-métrage allait bien trop loin dans le trash (certains restent choqués par l’utilité de voir scène où Nicole Kidman urinait sur le torse de Zac Efron). Retour au « calme » donc pour Daniels avec cette adaptation d’un article paru dans le Washington Post à l’occasion de l’élection de Barack Obama. Une histoire qui a de quoi balancer sur les inégalités « de couleur » qu’ont connue les États-Unis.

Plus exactement, Le Majordome retrace le parcours de Cecil Gaines, un Noir qui a grandit avec ses parents dans les champs de coton de Géorgie jusqu’à atteindre le poste de majordome. C’est-à-dire de domestique dans la prestigieuse Maison Blanche. Et comme ce poste nécessite une trentaine d’années de vie de la part de l’employé, Gaines va voir défilé les Présidents (dont Eisenhower, Kennedy, Nixon et Reagan) ainsi que la mise en place des droits et libertés envers les Noirs, persécutés par les Blancs. Un combat que mènera en parallèle l’aîné de Gaines, au grand dam de son père. Bref, Le Majordome se lance autant dans le drame historique que familial. En piochant un coup dans la réalité que dans la fiction (à partie d’un article, il faut bien inventer pour donner du corps à son histoire).

Dès le début du film, on devine aussitôt le but du Majordome : Daniels ne veut pas que raconter l’histoire d’un mec, mais plutôt la pénible évolution de l’acceptation des Noirs dans la société américaine, qui provoqua la mort de bien des hommes et femmes. But fort louable de la part de Daniels, qui veut dénoncer l’Histoire via la petite. Le problème était sans doute de ne pas en faire trop. Malheureusement, c’est pourtant ce que le réalisateur fait. Pourtant, il use de bon nombre de séquences sur le papier poignantes (le meurtre du père de Cecil dans les champs par son maître Blanc, les Noirs séparés des Blancs dans les lieux publics, l’intervention du Ku Klux Klan sur un bus de la Liberté…) qui auraient marqué les esprits. Mais le problème réside dans le fait que ces scènes-là, nous les avons déjà vues et revues dans d’autres films. Du coup, elles se montrent moins impressionnantes. Et quand un film de plus de 2h10 les enchaîne, on crierait presque : « On a compris, c’est bon ! ». Faisant sentir par moment le temps passer péniblement.

Autre défaut aussi à l’origine de ce manque de puissance : la mise en scène. Je n’ai pas vu les autres films de Lee Daniels pour juger son talent de cinéaste. Néanmoins, cela ne m’inspire pas trop quand je vois Le Majordome. Où la caméra est bêtement posée, filmant les scènes sans apporter de style à l’image (pas de plans spéciaux, pas d’effets…). Réduisant l’impact de certaines scènes (comme celle de la gifle lors du dîner, qui semble être bien plus une pichenette à l’écran). Et quand Daniels se lance dans les effets de style, il gâche également ses séquences (un ralenti lors de l’assaut du Ku Klux Klan, qui alourdit la scène au possible plutôt que l’horrifier). Voilà sans doute pourquoi toutes les dénonciations contre le racisme du film ne fonctionnent pas pleinement : le scénario est surfait ! Alors que des moments de quelques secondes (comme dans la plupart des films de ce genre) auraient amplement suffi. Surtout quand le véritable cœur de la trame se trouve dans la relation père / fils.

C’est cette dernière qui donne tout l’intérêt du film. C’est elle qui aurait pu le rendre bien plus poignant que cela si elle avait grandement été traitée. Et avec l’histoire de ce majordome, il y a de quoi se sentir toucher : un Noir allant jusqu’à travailler pour le chef des Blanc (le Président) pour mettre sa famille à l’abri des problèmes raciaux et surtout pour éviter de perdre ses fils comme il a perdu ses parents (du moins son père). Un but incompris par son aîné, qui lui soutient l’égalité, jusqu’à risquer sa vie. Voilà où se trouve toute la puissance du film ! Dans une scène de dîner qui tourne mal. Lors de retrouvailles. Quand la guerre du Vietnam vient bouleverser la vie familiale. Un pan du récit qui touche véritablement, car n’étant justement par surfait. Heureusement que Le Majordome attire notre regard également sur cette trame, sinon, le film n’aurait que pédagogique et ennuyeux.

Là où le film titille aussi notre attention, c’est par le biais de son casting, clinquant et majestueux comme la Maison Blanche. Notamment avec Forest Whitaker, que l’on semblait avoir perdu de vue (l’acteur s’étant réfugié dans les séries TV et les films bidons inconnus en France). Là, le comédien revient sur le devant de la scène, avec élégance et talent. Grande découverte de ce film, David Oyelowo (vu dans La Planète des Singes : les Origines, Paperboy et Jack Reacher) qui arrive enfin à prouver de quoi il est capable dans la peau de l’aîné Gaines. Un acteur à suivre ! Après, le film étant spécialement concentré sur l’Histoire et la relation père / fils, la distribution du Majordome n’est que l’opportunité pour certains de faire une apparition (parfois de quelques minutes). Du côté des proches, avec Cuba Gooding Jr., Terrence Howard ou encore Mariah Carey. Et surtout pour les « présidentiels » : Robin Williams, John Cusack, James Marsden, Alan Rickman, Liev Schreiber et Jane Fonda. Une fausse note cependant ! La présence d’Oprah Winfrey et de Lenny Kravitz, qui montrent bien que jouer l’acteur n’est pas leur véritable métier (les deux se montrant souvent bien trop fades).

Le Majordome est dans un sens un bon film car abordant une trame qui ne laissera pas insensible. Par contre, ce long-métrage de Lee Daniels possède les mêmes symptômes de La Rafle avec Gad Elmaleh et Jean Reno : à trop vouloir dénoncer alors que le cinéma et d’autres œuvres l’ont déjà fait par le passé, le film n’a pas la puissance souhaitée et perd donc en intérêt. Un film qui mérite d’être découvert pour ceux dont l’Histoire intéresse. Mais la pédagogie n’est pas le meilleur atout pour marquer les esprits !

Créée

le 18 oct. 2013

Critique lue 734 fois

1 j'aime

Critique lue 734 fois

1

D'autres avis sur Le Majordome

Le Majordome
drélium
6

34 years a slave

Armé de son charme ricain breveté, The Butler est fait pour verser sa petite larme à emporter, que ça dégouline sur ta joue sans crier gare alors que l'on ne voit que des gros plans de visages...

le 29 avr. 2014

28 j'aime

Le Majordome
Moorhuhn
3

La Soupe à oscars

Recette du films à oscars - Facile à préparer - Budget abordable Commencez d'abord par parler d'une histoire vraie sans prendre de grands risques. Quoi de mieux que de parler de la...

le 7 oct. 2013

28 j'aime

4

Le Majordome
hugovanmalle
8

Critique de Le Majordome par hugovanmalle

Je n'avais ni vu l'affiche, ni ne savais de quoi parlait le film. On m'y a entraîné et c'est une bonne chose, j'ai regardé le film comme il se déroulait sous mes yeux et j'en suis sorti en me disant...

le 12 sept. 2013

28 j'aime

Du même critique

Batman v Superman : L'Aube de la Justice
sebastiendecocq
8

Un coup dans l'eau pour la future Justice League

L’un des films (si ce n’est pas LE film) les plus attendus de l’année. Le blockbuster autour duquel il y a eu depuis plusieurs mois un engouement si énormissime que l’on n’arrêtait pas d’en entendre...

le 28 mars 2016

33 j'aime

1

Passengers
sebastiendecocq
5

Une rafraîchissante romance spatiale qui part à la dérive

Pour son premier long-métrage en langue anglophone (Imitation Game), Morten Tyldum était entré par la grande porte. Et pour cause, le cinéaste norvégien a su se faire remarquer par les studios...

le 29 déc. 2016

29 j'aime

La Fille du train
sebastiendecocq
4

Un sous-Gone Girl, faiblard et tape-à-l'oeil

L’adaptation du best-seller de Paula Hawkins, La fille du train, joue de malchance. En effet, le film sort en même temps qu’Inferno (à quelques jours d’intervalles), un « Da Vinci Code 3 » qui attire...

le 28 oct. 2016

28 j'aime

4