S'il y a bien un film de Spielberg sous-estimé, c'est sans doute ce Monde Perdu. D'ailleurs, il a longtemps été le volet que j'aimais le moins dans la saga Jurassic avant que je ne le revois différemment. Tourné quatre ans après le premier volet à la suite d'une pause de la même durée après l'épreuve que fut l'enchaînement du tournage de Schindler et du montage de Jurassic Park, Spielberg revient sur les plateaux de tournage et il est bien décidé à se défouler. Quand on regarde la carrière du cinéaste, on note qu'il offre régulièrement (une fois par décennie environ) un opus sombre et sadique : Jaws dans les 70's, Le Temple Maudit dans les 80's, La Guerre des mondes dans les 00's et ce Monde Perdu pour la décennie 1990. Il n'est sans doute jamais aussi meilleur que quand il laisse s'exprimer ce côté sale gosse qui fait ici des merveilles. Il n'avait clairement pas envie de tourner cette suite (les mauvaises langues racontent même que le film aurait en grande partie été tourné par son scénariste et réalisateur de second équipe David Koepp) et donc il s'éloigne assez drastiquement du premier film pour partir sur autre chose de complètement différent avec ce qui apparaît comme un hommage au King Kong de Schoedsack et Cooper.


Ainsi, après une mise en place sans doute un peu trop longue et maladroite (on passe trop de temps sans doute sur l'équipe de Malcolm et on peut regretter qu'ait été coupé la scène introduisant le personnage de Roland, pourtant le plus intéressant), on assiste à un déchaînement d'action sans temps mort (ça n'arrête pas de la seconde heure) dans ce qui s'apparente à un roller coaster lancé à toute vitesse où Spielberg semble exorciser une colère intérieure (il ne faut pas oublier les innombrables attaques dont il fût victime à l'époque de Schindler, où on lui reprochait de n'être qu'un vulgaire entertainer qui osait se frotter à la Shoah) et laisse libre cours à son sadisme. Fini la photographie lumineuse de Dean Cundey, place à l'éclairage bleuté et brumeux de Janusz Kaminski. On a rarement vu un spectacle familial aussi sombre et pervers : alors que Eddy est sur le point de sauver tout le monde, dans une séquence où est démontré son héroïsme avec une musique qui va bien, débarquent les deux T-Rex qui se le partagent comme un vulgaire os de poulet mais aussi le type qui se retrouve collé sous les pieds du T-Rex, le chien qui se fait bouffer, l'équipage éparpillée en petits morceaux dans le bateau...


Le côté pervers est aussi présent par le fait que finalement ce sont ceux qui se pensent du bon côté, gentil écolos militant pour la liberté des animaux qui sont à l'origine de tous les malheurs. Finalement le projet de Ludlow était juste d'exposer quelques herbivores pour renflouer sa société coulée par l'incident sur Isla Nubar. Alors, certes, on peut trouver ça limite sur les questions d'exploitation de la nature mais au moins, il ne mettait personne en danger. Car c'est bien la bêtise des « héros » , aveuglé par leur vision naïve et béate des dinosaures qui provoquent une réaction en chaîne de catastrophe.
Mais Spielberg semble aussi avoir conscience du côté ridicule de la surenchère qu'on lui demande avec cette suite. J'aime aussi beaucoup le côté méta du film, comme si il sentait le n'importe quoi dans lequel il verse au fur et à mesure, non sens atteint par la séquence des barres parallèles, débile mais finalement dans le ton décomplexé du film, comme si Spielberg nous adressait un clin d'oeil complice face à ce déferlement d'action bourrine. Le final achève ce grand WTF avec le monstre principal du film qui becte son propre scénariste, comme si la star du film se rebiffait contre le spectacle transgressif et jouissif dont il fait partie.


http://www.bekindreview.fr/forum/critiques/topic6068-135.html#p816470

ValM
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le 8 nov. 2015

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