Il existe deux catégories de suites. D’une part, celles où le personnage principal du premier film vit de nouvelles aventures, cet exercice ayant été maintes fois pratiqué pour le meilleur (Indiana Jones, Marty McFly…), et pour le pire (Rocky, Rambo…). D’autre part, celles où c’est l’aventure du premier film qui est vécue par de nouveaux personnages. Malheureusement, cette pratique de recyclage d’une histoire donne des films extrêmement mauvais ("Les dents de la mer", "Anaconda"…). La raison en est que le spectateur ne dispose d’aucun référentiel. Il voit la même histoire vécue par de nouveaux personnages pour lesquelles il est impossible d’avoir la moindre empathie, leur ignorance de la situation les transformant en marionnettes sans profondeur.
"The lost world" appartient à cette seconde catégorie. Mais c’est là que Spielberg démontre ce qui, en dépit de tout, le rend infiniment respectable : il sait faire du cinéma. La raison d’être du film est de surfer sur le triomphe du premier, en inventant une excuse énorme et maladroite pour faire encore plus d’argent. Spielberg le sait. De toute façon, les "Jurassic Park" ont toujours été pour lui une manière de financer des films qui lui tenaient réellement à cœur : le premier pour "La liste de Schindler", le second pour "Il faut sauver le soldat Ryan". Mais, bien que conscient de l’insipidité de son film, Spielberg décide pourtant d’en tirer le meilleur. Il va s’amuser avec les millions de dollars mis à sa disposition, comme un enfant (encore et toujours...) à qui l’on offrirait le plus merveilleux des jouets.
Il prend le parti de faire un film beaucoup plus sombre que le premier (la quasi-totalité des scènes se passent de nuit) et de multiplier le suspense, la tension, les souffrances et le nombre de victimes. Ainsi, certaines scènes sont merveilleuses de par leur mise en scène : celle où Julianne Moore est suspendue à une vitre qui peut se briser à tout moment, par exemple, ou bien la scène suivante, où Eddie est dévorée par deux T-Rex simultanément et qui est, même 16 ans après, extrêmement difficile à revoir.
Par ailleurs, le scénariste (David Koepp) fait des choix judicieux dans le rôle qu’il donne à chacune des espèces de dinosaures. Si l’on résume, "Jurassic Park" premier du nom, c’est le Tyrannosaure d’abord, et les vélociraptors ensuite. Dans "The lost world", la participation des "Raptors" est réduite à une peau de chagrin. D’une part, ils interviennent extrêmement tard dans le film et, d’autre part, leur unique scène est mauvaise et bâclée. La raison de cette quasi-absence est que la star de "The lost world", c’est le Tyrannosaure. Au fond, on a tous appris l’existence du vélociraptor à la sortie de "Jurassic Park" et, en toute honnêteté, on s’en fiche un peu. C’est le Tyrannosaure qui nous intéresse. C’est lui le dinosaure de notre enfance, celui qui nous fait tellement peur, que l’on respecte et que l’on craint. Spielberg lui accorde toute son attention sur l’île tout d’abord, avec des scènes extrêmement bien faites (la mort d’Eddie, encore, la scène de la cascade…), puis lui offre plus tard le meilleur des terrains de jeu : la ville. Dans cet hommage évident à « King Kong », on en vient à avoir de la compassion pour le Tyrannosaure. En effet, aucun animal, même le plus grand prédateur de tous les temps, ne mérite d’être transporté dans un environnement qui n’est pas le sien pour que l’on fasse de lui un objet de convoitise et de commerce.
Les suites où l’aventure du premier film est vécue par de nouveaux personnages sont ratées car, en aucun cas, l’aventure ne peut servir de référentiel. Seul un personnage le peut. "The lost world" est l'exception qui confirme la règle.