Le Pantalon
7.2
Le Pantalon

Téléfilm de Yves Boisset (1997)

Pas de terroristes en col noir sans terroristes en col blanc

En ces temps où un vêtement est plus qu'un simple vêtement, en ces temps où l'on parle de symbolique et de sensibilité plus que de productions matérielles, le film d'Yves Boisset - car c'est un film d'Yves Boisset avant même de n'être qu'un simple téléfilm à la solde de France 2 - le bien nommé "Le Pantalon" résonne aujourd'hui comme le récit d'une absurdité - oui mais qui n'est absurde parce qu'on s'arrête à un moment donné de chercher les causes de la violence et des souffrances qui en découlent.


Pour un téléfilm, c'est d'une excellente facture, l'adaptation du roman est quasi-fidèle à l'histoire vraie de Lucien Bersot, mis à part quatre éléments, deux pour cause de dramaturgie (c'est en apprenant la condamnation à mort que deux de plus ont été condamnés + la séquence du sursis accordée par le général), deux autres pour erreur historique (certains soldats du peloton refusèrent d'en faire parti et Auroux n'a pas gagné ses étoiles ainsi, avec cette exécution). L'affaire Bersot fait partie de ces vérités historiques qui donne encore plus d'effroi lorsqu'on sait que des généraux et des officiers ont été capables de confondre leur humanité dans cette mascarade hiérarchique, que dis-je ! dans cette surenchère autoritaire (votée, rappelons-le, avec les crédits de la gauche d'époque - je dis ça, je dis rien). Sacrée histoire, non loin de l'expérience de Milgram, en effet que ce noeud d'absurdités, ce pantalon, fruit de tous les déshonneurs face à... l'ennemi ? Même pas. On voulait un procès pour l'exemple, et encore aujourd'hui la France peine à reconnaître les fusillés pour l'exemple. Je rappelle à ce titre que "Les sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick fait parti des films ayant une des plus longues durée de censure : 17 ans de silence ! Donc, quand France 2 finance un tel projet en 1997, projet chapeauté par... Monsieur Yves Boisset - s'il vous plaît - cela a tout lieu d'être une avancée. Cela a de la gueule, et pas que de la gueule cassée.


Pour autant, l'autre revers, c'est qu'il s'agit d'une commande de système. Ah bah oui, France 2 ne va pas produire un film qui crache dans la main de l'Etat qui l'emploie ! Cela paraît assez logique. Donc, à partir de là, on va chercher et l'histoire qui paraît bonne à montrer, sans que cela n'aille trop loin. Ce serait dramatique si les gens se rendaient compte tout à coup qu'à chaque fois qu'on parle de la guerre sur un écran, c'est l'enjeu, le fruit pourri d'un capitalisme en décomposition. Cela serait quand même bien dommage de devoir expliquer tout ça. D'ailleurs, tout le monde le sait mais bizarrement je cherche toujours ce film. Et c'est là que j'en veux à Boisset, parce que ce cinéaste n'est pas dupe. Plutôt dénonciateur et pas vraiment tendre avec les petits-bourgeois, j'étais en droit d'en attendre plus, d'attendre un ou plusieurs éléments qui fassent que ce film soit plus qu'il n'est, c'est-à-dire comme tous les autres : un film intra-militaire, un film où les problématiques se nouent autour d'une infinité de conséquences, toutes plus barbares les unes que les autres. Il faut toujours que la guerre ne soit pas expliquée, il faut toujours défier les causes, sous prétexte qu'aucune cause, aucun intérêt ne saurait expliquer suffisamment l'horreur vraie et spontanée qu'est un corps anonyme, mutilée à mort, par une bombe l'ayant soufflé sur une butte déjà mille fois creusée, quelque part située entre Compiègne, Soissons et Villers-Cotterêts. Les seuls barbares seraient ceux qui, dans l'ambiance feutrée des salons loin des tranchées boueuses*, donnent les ordres d'envoyer au casse-pipe des centaines de gars deux fois par jour pour des raisons obscures et indiscutables. L'honneur du film revient au fait que l'on sait tout de la nature de l'ordre, et cet ordre est stratégique. Le général veut faire diversion, coûte que coûte, mais une diversion qui repose sur du vent, le vent de l'Aisne, sa brume qui nous chuchote encore à quelques lieues d'ici ce que sera la célèbre chanson de Craonne, elle aussi, fusillée pour l'exemple pour sa poésie tragique.


Par conséquent, oust la phrase d'Anatole France dans la tête de Boisset. Qu'on ne me dise pas qu'il ne connaissait pas cette célèbre phrase ! Allons chercher bien, vous aussi ? Mais si... Quand Anatole dit "qu'on croit mourir pour la patrie alors qu'on meurt pour des industriels". Plus d'un siècle après, Anatole, qui n'était pas franchement un gauchiste, a toujours raison. Les guerres se succèdent, toujours pour vanter la protection des populations arrières et pour la beauté historique de l'aventure criminelle, mais jamais personne pour se rappeler la classe bourgeoise sortira à chaque fois grandie de tous les drames qui peuvent arriver aux travailleurs et aux travailleuses de tous les pays. S'il y avait un film à faire, un pas critique à franchir au cinéma, ce serait celui-là. Ce serait sortir des carcans intra-militaires et intra-gouvernementaux pour une meilleure représentations de la vérité et des émotions. J'ai le sentiment, une nouvelle fois, qu'une guerre est toujours plus qu'elle n'est mais que le cinéma s'en fout. Ou alors... L'argent qui le motive, ce cinéma, cet argent sale se moque de nous !


Finissons en chanson avec une oeuvre musicale inspirée justement par l'histoire de Lucien Bersot et des compagnons qui l'ont défendu.


La poupée du loup interprète "Lucien" : https://www.youtube.com/watch?v=-Ir2rDth8Kc


*ne retrouve-t-on pas la même schizophrénie chez les grands patrons qui discutent à dix le sort de plusieurs milliers de personnes ? Et que dire du trader ingénu devant son écran blafard, celui qui dématérialise complètement une réalité pourtant crue ?

Andy-Capet
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le 26 sept. 2016

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Andy Capet

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