Aujourd’hui unanimement reconnu comme un l'un des plus grands film de l'histoire du cinéma, Le Parrain n’eut pourtant, à l’époque de sa mise en chantier, rien d'évident. La Ligue italo-américaine des droits civils et quelques personnalités politiques, essayèrent d’empêcher d’adapter à l’écran le roman de Mario Puzo, avant qu’un terrain d’entente ne fut trouvé. Avant Coppola, plusieurs réalisateurs furent également approchés, de Sergio Leone (qui préféra se pencher sur son propre projet de film de gangsters, Il était une fois en Amérique) à Otto Preminger (qui voulait Frank Sinatra dans le rôle du Parrain), en passant par Arthur Penn, Peter Yates ou Costa-Gavras. Ce n’est peut-être pas évident quand on voit le film, mais Le Parrain n’a rien eu, dans un premier temps, d’un projet personnel pour Francis Ford Coppola. Tout l’inverse d’Apocalypse Now qui faillit même lui coûter la vie tant il se jeta corps et âme dans sa conception. Idem pour la distribution des rôles. Jack Nicholson, qui fut approché pour le rôle de Michael, refusa, en prétextant que le long-métrage gagnerait en crédibilité si le personnage était campé par un acteur aux origines italiennes. Robert Redford, Warren Beatty ou Dustin Hoffman furent aussi évoqués, avant que Al Pacino finisse par accepter le rôle, lui qui à l'époque était surtout connu au théâtre et pour avoir joué dans Panique à Needle Park, de Jerry Schatzberg.
Pourtant, à l’arrivée, Le Parrain s’imposa d’emblée comme un classique instantané, avec tout ce qui va avec comme récompenses diverses et variées.


Au départ, les intentions de Coppola étaient très claires et consistaient à livrer le plus fidèlement possible une vision authentique de la mafia. Le film n’est certes pas le premier à aborder le sujet de la Cosa Nostra, mais c’est celui qui osa véritablement pénétrer en profondeur dans les rouages de cette organisation criminelle d’envergure. Coppola le savait, seul un certain réalisme et un véritable respect de son sujet pourraient lui permettre de faire naître une œuvre de référence. Du coup, chose très importante, Le Parrain ne porte pas véritablement de jugement sur les actes de ses protagonistes. Le film évolue à l’intérieur de la famille Corleone et de ses membres, tous plus ou moins engagés dans un processus mortel. Au final, seul le personnage de Kay, interprété par Diane Keaton, offre un point de vue externe, quant aux actes réalisé par les Corleone. Un point de vue présent mais plutôt étouffé, car destiné à prendre plus d’ampleur dans le second volet.
Le Parrain tourne donc principalement autour du Don (Marlon Brando), et de ses fils, Sonny (James Caan), Fredo (John Cazale) et Michael (Al Pacino). Les deux premiers étant depuis toujours impliqués dans les affaires de la famille et le troisième s’étant volontairement exilé loin de ce qu’il juge comme étant contraire à ses propres valeurs. Son arrivée, après son expérience sur le front de La Seconde Guerre mondiale, au début du long-métrage, coïncide avec le début de problèmes qui vont être décisifs en ce qui concerne la suite des événements. Le récit prend pied dans un période voyant émerger de nouvelles sources de revenus potentielles pour les criminels, avec en haut de la liste la drogue. La vieille école est mise à épreuve et tandis que les choses changent, des questions se posent et entraînent évidement des conséquences. Le fait d’avoir choisi de débuter l’histoire des Corleone à ce moment-là, en dit long sur les intentions de Coppola et donc sur celles du film. Elle permirent également au Parrain de se démarquer des autres œuvres traitant plus ou moins du même sujet sorties jusqu’ici et d’ouvrir la voie pour toute une génération de longs-métrages et de cinéastes plus ou moins inspirés par le film (Martin Scorsese par exemple). Le Parrain met en danger ces personnages, et ne jete pas un œil accusateur sur leurs actes qui de toute façon parle d'eux même.


Généralement, lorsqu’on est invité à un mariage, c’est que nous sommes proches de ceux qui célèbrent leur amour. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le film débute par un mariage. Une fête sur laquelle il prend le temps de s’attarder. De cette façon, il nous prend par la main et nous présente les personnages les plus importants. En musique, il nous immerge dans un univers qui n’est pas le nôtre et nous fait sentir que nous sommes les bienvenus et que tout va bien se passer. C’est ensuite, lorsque les portes se referment, que nous comprenons que tout ne va pas bien se passer et que les Corleone sont aux commandes.
Le processus, très immersif permet aussi de faire connaissance avec les acteurs de cette valse funeste. De les apprécier mais aussi de les craindre. Sur bien des points, Le Parrain a révolutionné la narration en emmenant le spectateur dans un monde dénué de morale. Où tous ceux qui essayevde faire le bien sont brisés.
Authentique film d’anti-héros, précurseur d’un mouvement qui perdure encore aujourd’hui, Le Parrain reste dans le camp des méchants et ne cesse de nuancer son propos, en pénétrant la psyché de criminels plus complexes et torturés qu’il n’y paraît au premier abord. Le procédé est non seulement original (pour l’époque), mais aussi brillamment exécuté.
Car si il n’est pas à l'initiative du projet, Coppola s’est appliqué à retranscrire sa vision. La pression était grande, les risques également, mais à la fin, c’est lui qui a remporté son pari, en réussissant un véritable exploit : traiter des personnages mauvais, en nous les faisant aimer.
Non content de parler de la mafia (sans la citer explicitement), le film traite aussi de l’Amérique de l'après-guerre, de la corruption dans une société en train de se reconstruire, de la famille et de la place de chacun, des traditions, mais aussi même si c'est moins évident de la perte de l’innocence. Michael Corleone s’impose, dès ce premier volet, comme le pivot pillier de l’histoire, même si Marlon Brando occupe beaucoup d’espace. Michael Corleone est le personnage principal car c’est lui qui abrite la totalité des thématiques. Il revient de la guerre méfiant car il sait que ce qu’il a vécu en Europe n’est rien en comparaison de ce qu’il peut vivre chez lui. Très peu de films voient un soldat revenir du front l’air plutôt serein, Michael est l’un des seuls, car dans son cas, l’éloignement était nécessaire et tant pis si cela impliquait de mettre sa vie en danger face aux nazis. Ce qui en dit long dès le début sur beaucoup de choses et notamment sur le désir de Coppola de centrer l’attention sur la lente descente aux enfers d’un innocent que même la guerre n’avait pas réussi à corrompre, mais que la mafia va transformer en monstre froid et sanguinaire.


Illuminé par la magistrale musique de Nino Rota, Le Parrain a impressionné dès moment de sa sortie et n’a cessé depuis lors de fasciner les générations successives.
Le film brille aussi dans la forme car on a ici affaire à un authentique bijou de mise en scène. Francis Ford Coppola, épaulé par la sublime photographie de Gordon Willis (collaborateur de Woody Allen, avec lequel il travailla notamment sur Manhattan), fait preuve ici d'une maîtrise totale de son art.
Jamais Coppola ne vise pas juste. Quand il tire, il touche à chaque fois sa cible et fait à chaque étape importante de son long-métrage des séquences mémorables. On peut par exemple citer la scène du restaurant avec, la très fameuse scène de la tête de cheval, ou encore la célèbre exécution au péage. Autant d’instants à la puissance décuplée par un découpage de génie. Posé quand il faut l’être, Coppola sait aussi être percutant quand les circonstances l’exigent, et si son film apparaît comme un exemple de maîtrise parfaite, c’est justement grâce à la faculté de son réalisateur de ne jamais trop en faire, ni de jamais ne pas assez en faire. Il sais ralentir le tempo sans provoquer l’ennui, accompagner les descriptions de longs plans d’une poésie crépusculaire, et de choquer le spectateur quand il le faut par des accès de violence saisissants.


Bien sûr, les acteurs ne sont pas étrangers à l’extraordinaire réussite du Parrain. Souvent parodié et imité, Marlon Brando par exemple, est extraordinaire, en capturant ce petit quelque chose qui fait du Don, l’expression d’une menace constante mais teintée d’une sorte de sagesse très touchante. Un acteur qui vas à ravir à un réalisateur qui cherche ici la faille chez ses personnages, histoire de ne pas en faire des surhommes. James Caan est quand à lui l’expression même d’une fureur jamais totalement contenue.
John Cazale pour sa part, fait de Fredo, la brebis galeuse de la famille, le maillon faible. Diane Keaton, comme dit plus haut, incarne ce point de vue extérieur. Sur le point de voir son intégrité prise par le monstre qu'est devenu l'homme qu'elle aime. Il en est un peu de même de Talia Shire, la sœur de Francis Ford Coppola et la future femme de Rocky Balboa, qui campe Connie, la seule femme de la fratrie Corleone. Un rôle crucial malgré sa présence réduite, qu’elle incarne très bien, avec toute la grandiloquence et également la retenue dont elle sait faire preuve. Impossible également de ne pas saluer la classe et la prestance que possède Robert Duvall, alias Tom Hagen, impérial en permanence, à l’instar d’Al Pacino. L'immense Pacino, qui explose réellement pour la première fois, dans un rôle qui lui semblait taillé sur mesure. Tout bonnement parfait, il laisse libre court à un charisme décuplé par un talent hors du commun.


Quand Coppola nous présente chacun des Corleone, difficile de résister. Sa plongée dans la famille est à la foi éprouvante et passionnante. Les 3h passent à une vitesse dingue, tant la construction du récit, les dialogues, et la mise en scène, confèrent à cette œuvre une ambiance qui lui est propre.
Si Le Parrain est régulièrement cité parmis les meilleurs films de l’histoire, ce n’est pas un hasard. Si on lui rend régulièrement hommage, non plus. Quand un long-métrage arrive à vous bluffer autant de fois en si peu de temps, c’est qu’il possède quelque chose de spécial. Quelque chose qui échappe aux mots et qui s’apparente à des ressentis. Le Parrain reste bien entendu passionnant en permanence, instaurant une succession de codes fondateurs sur lesquels vont s’appuyer nombres de films après lui. L’ultime séquence d’une intensité dramatique folle, apparaît alors comme la conclusion parfaite d’un premier chapitre en forme d’inoxydable chef-d’œuvre. La porte se referme sur Michael Corleone, alors à l’aube de sa réelle prise de pouvoir. L’Amérique est gangrenée de l’intérieur par ceux qu’elle a considérés à tort comme inférieurs.

Maodezverron2511
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le 9 févr. 2019

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