Le Roi des Ronces
6.3
Le Roi des Ronces

Long-métrage d'animation de Kazuyoshi Katayama (2010)

Depuis longtemps, le film traînait sur mon disque dur. J'ai fini par le regarder, sans même me renseigner : il m'avait seulement été passé par quelqu'un qui me l'avait recommandé. Aussi ne savais-je pas à quoi m'attendre.
"Ibara no Ô" est pour moi un exemple typique de cette catégorie d'oeuvre (bien connue) que nous sommes surpris d'aimer. Car lorsqu'on y réfléchi il n'y a rien de si extraordinaire, mais sans comprendre pourquoi, l'on prend plaisir à regarder ce qui nous est conté.

Au début du film je me disais que l'histoire n'avait rien d'original, une grande ville connue où l'on observe les humains vivre, avec un fond angoissant pour bien insister sur le bouleversement à venir, une épidémie apocalyptique qui pétrifie les gens, une série de plan sur les médias qui évoquent le problème... Un traitement classique donc, et une intro qui est modeste dans ses prétentions, sauf pour la séquence du conseil de l'ONU, qui sera importante pour la suite (bon, le problème, c'est qu'au moment où ces infos prennent leur importance, c'est-à-dire vers les deux tiers du film, on a oublié ce passage...).
Ce bref départ fait que, je ne sais pas vous, mais moi j'avais beaucoup de mal à me mettre dans l'ambiance d'un monde en péril vu le calme affiché par tous dans la forteresse de Wegan. On dirait une sympathique petite réunion mondaine. Malgré tout, l'arrivée dans la forteresse est très bien traitée, et l'on commence à percevoir ce qui sera l'essence du film. Mais j'y reviendrai.

En tout cas, de l'arrivée jusqu'à la mise en sommeil artificiel, tout est bien réalisé, à part le défaut d'ambiance d'un monde assiégé par une maladie meurtrière qui fait cruellement défaut. Peut-être ont-ils voulu procéder autrement, genre "nous voulons montrer le drame qui se déroule dans le calme avec des indices subtils et en s'épargnant les habituelles grandes scènes dramatiques". La fille qui découvre que son bracelet porte des marques sombres, le jeu avec les mains des sœurs quand elles se quittent sont des indices qui vont dans ce sens.
Après l'émouvant endormissement du personnage principal (ce peut être considéré comme un peu niais, mais je suis comme ça moi, je me laisse facilement attendrir...), l'atmosphère change brutalement. Déjà, l'intermède des coups de feu (bientôt bien réalisé, et aussi parce que l'on suppose bêtement qu'il y a une guerre sans se douter de la vérité) donne le ton. Le réveil a lieu et c'est là que l'on comprend que des cadavres et des grandes scènes dramatiques, on va y avoir droit (c'est peut-être pour ça qu'ils ont été si soft au début; ça aurait fait trop).
Nous voilà parti pour un périple à travers la forteresse avec les survivants : c'est le survival. La partie la moins intéressante du film. Comme dans presque tous les survivals, les gens encaissent des chocs (coups, chutes, explosions... et c'est valable pour les gros mastocs comme pour les enfants) qui auraient dû les tuer sur le coup, mais passons. Les séquences de poursuite et de combat de monstres font un peu trop penser à un jeu vidéo à mon goût, et nombre de ces attaques n'ont lieu que pour obliger nos amis à ce déplacer, servir de diversion et tuer les personnages inutiles.
Car il faut dire ce qui est : en dehors de trois personnages principaux, les autres sont à peu près ignorés ou tracés à grand traits rapides. Certain ne servent qu'à se sacrifier pour d'autres. Même si pour certains d'entre eux de beaux rebondissements seront proposé, cela fait partie de ce que l'on a reproché au film; en revanche, je n'ai rien à dire sur le chara-design : c'est simple, efficace. Je n'aime pas la tendance actuelle qui consiste à penser que si un personnage n'a pas une apparence extraordinaire, ou très travaillée, il ne vaut rien.
Une technologie qui semble improbable en l'an 2015 (ce n'est comme si le film était si vieux), pas mal de déplacement erratiques et un peu suspects (ils tombent sur le cellier avec la sortie secrète...), une intrigue comportant des clichés et quelques incohérences... Cela commence à faire beaucoup, me diriez-vous.

Mais c'est là que la mécanique du film joue. Déjà, ce qui apparaît comme des incohérences reçoit souvent une explication ou une partie d'explication (l'arrivée du patron de Wegan dans le cellier où ils étaient réfugiés, l'enfant qui "sait" ce nouveau monde à partir de son jeu...). Ensuite les rebondissement finaux et le propos sur les expériences des rêves sont valables et bien exploités, même si l'on regrette un développement un peu rapide qui arrive tard. J'aurais bien aimé en savoir plus, notamment à propos de cette Alice, et aussi de son rapport avec l'IA du même nom que je ne comprends pas bien (on passera sur le fait que l'IA a tant été exploitée qu'elle passe maintenant pour un cliché, hélas reproduit ici mais non sans pertinence au final).
Ensuite, le film est conscient que tout ce folklore (l'épidémie, la plan pour sauver des vies, la méchante compagnie, les survivants assailli par des monstres, la cryogénisation, l'infiltré de l'armée super badass, le gentil black policier, et j'en passe et des poncifs) est cliché (ils l'ont même fait dire à un personnage), et il en joue parce que ces techniques, comme le survival trépidant, permettent tout de même de s'assurer un certain public et de maintenir le spectateur en haleine devant le film jusqu'au dénuement.

L'autre force du film, c'est son aspect psychologique sur la relation entre deux personnes et surtout sa poésie. Un beau thème évoquant tout à la fois la mélancolie, le rêve, le grandiose et avec un côté celtique, tantôt joué simplement au piano ou par des cordes (qui rendent assez moyenâgeux et ça contribue à l'ambiance) , tantôt symphonique, revient sans cesse et scande la lente prise de conscience du personnage principal, sur la base de flash-back, ce qui est classique mais fonctionne bien, notamment en ce qui concerne la fameuse scène dont on voit le début dans l'introduction et qui est dévoilée morceau par morceau jusqu'à que l'on comprenne qu'elle contient la clé de l'énigme, vers la fin. Ils ont réussi à créer une ambiance sombre et majestueuse à partir de La Belle au Bois dormant (ah, la fascination japonaise pour les contes occidentaux - il y a même une Alice...) conte qui pour ma part ne m'enchante absolument pas (j'ai toujours le Disney gnangnan en tête). Toutes ces ronces... Ça aurait pu être ridicule mais ça fonctionne parfaitement. Voilà la clé de ce film : il fonctionne, nous intéresse, nous entraîne, nous convînt de ce qu'il raconte et nous fais rêver. Ce qui est plus important que tout, car bien des œuvres sont mieux pensées tandis que leur sauce ne prend pas.

J'ai trouvé le dessin plutôt beau ( sans être transcendant non plus - et bien que les décors soient d'une qualité très variable) et l'animation assez bien faite, mais cela, c'est peut-être parce que j'ai tendance à être davantage influencée par la bande-son musicale qui retient plus mon attention. Ici, il aurait fallu davantage de morceaux, mais le thème central est je le répète vraiment bien inspiré.
Ah, et aussi, sur les relations entre les personnages, ils ont évité le pire, l'immense cliché : il n'y a pas d'amour (au sens de relations amoureuses, je ne parle pas du simple attachement entre deux personnes). Il aurait été si facile de rapprocher la jeune Kasumi de son chevalier servant britannique, ou encore les deux demoiselles, qu'elles soient sœurs ou pas. Je suis reconnaissante au script d'avoir évité ce poncif. Quoique, en y réfléchissant, l'amour fraternel semble vraiment extrêmement important... mais la famille est souvent traitée par les auteurs nippons différemment de nos habitudes occidentales où une fois sorti de l'amour, il y en a plus rien qui vaille le coup qu'on en parle (c'est une généralisation, je n'ai pas dit que tous les productions occidentales étaient ainsi).

Pour finir, je dirai que Le roi des Ronces est un film qui sous ses dehors classiques de survival apocalyptique, est plus surprenant que ce qu'il semble prétendre au départ - le conte d'un monde doté d'une technologie futuriste et aseptisée, le nôtre, mais où les hommes ont les même liens avec les autres hommes et les même rêves que depuis l'époque ancienne des contes de fées aux sombres malédictions.
Meîann
7
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le 13 mai 2014

Critique lue 557 fois

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