Il n'est pas nouveau de dire que Jean-Pierre Melville est un cinéaste du silence. Ses sombres polars français mettent en scène des êtres solitaires et perdus, ont une facette très intéressante où le silence est l'essence de la violence et du respect. Si j'estime peut être Le Cercle rouge comme son film le plus abouti, je pense alors que Le Samouraï est celui qui traite le mieux de cette question du silence. Il n'y a pas vraiment besoin de dialogue pour comprendre l'épopée cloîtrée et dangereuse de Jef Costello (Alain Delon), ce tueur à gages solitaire qui voit son destin se renverser après un assassinat qui tourne mal.
Les regards entre les personnages et les actions délicatement exécutées sont les sources de cette tension où chaque mouvement de caméra permet de comprendre la situation. Il suffit simplement de contempler cette scène d'ouverture de Jef en compagnie de son oiseau en cage. Tous deux cloîtrés dans leurs appartement morbide où l'attente d'un meurtre commandité se fait longue. Jef est un homme enfermé dans une routine illicite et dangereuse, où la moindre tentative d’émancipation peut s’avérer fatale. Connaitre sa cible; la tuer; récupérer l'argent; connaitre sa cible; la tuer; ... ce quotidien reste sa seule raison de vivre où l'amour éphémère et la solitude sont comme des minimes évasions. On sent aujourd'hui les long-métrages imprégnés de l'ambiance solitaire et calme (en apparence) de l’œuvre de Melville : Léon de Luc Besson en 1994 ou même Drive de Nicolas Winding Refn en 2011. L'être solitaire et incapable d'aimer, endoctriné dans une routine dangereuse qui se renverse subitement : un loup blessé et traqué de tous les côtés.
Jean-Pierre Melville travaille à merveille ce côté à la fois contemplatif dans son silence, mais aussi profondément angoissant dans son récit de traque. C'est surtout sa mise en scène efficace qui sert ce polar maîtrisé : un véritable labyrinthe au sein du commissariat où se mélange suspects, le tueur, les témoins et les flics. Mais c'est aussi et surtout cette grande chasse finale au cœur du métro parisien où Jean-Pierre Melville joue constamment sur cette mise en perspective entre les longs couloirs des sous-sols de la capitale et la petite représentation plastique qui permet aux policiers de connaitre la position en temps réel de Costello. Melville s'amuse et plonge son spectateur dans cette mise en abîme au cœur d'un Paris sombre, aux côtés d'un tueur à gages jouant une dernière fois avec son destin.
Melville m'a toujours passionné, mais sans-non plus être indemne de défauts. Je lui reproche quelques-fois sa vacuité scénaristique (L'Armée des ombres) ou sa trop grande volonté de fulgurance et de complexité de récit (Le Doulos). Mais il faut dire que quand il trouve le juste milieu comme dans Le Cercle Rouge ou ici avec Le Samouraï, Jean-Pierre Melville réalise de grandes choses mémorables.