Il est parfois important de distinguer l’histoire et le thème d’un film, car le premier n’est en général que le support du second. "Jaws" utilise l’histoire d’un requin tueur pour s’intéresser au comportement d’un flic incompétent lors d’une période de crise, et "The shining" utilise l’histoire d’un hôtel hanté pour aborder le thème de la panne créatrice. Des thèmes universels et ordinaires, véhiculés par des histoires extraordinaires, afin de garder le spectateur en haleine.
L’histoire de "Brokeback mountain" l'a desservi à sa sortie. "Le film avec les cowboys pédés" était malheureusement la commune façon de le résumer et d’en faire la (mauvaise) publicité. En dépit de "la" scène qui semble avoir mis tant de gens mal à l’aise, "Brokeback mountain" ne s'intéresse pas vraiment à l'homosexualité. Le film raconte comment les racines peuvent devenir une prison, et les traditions un aveuglement.
Jack et Ennis savent que chez eux, ils ne peuvent être ce qu’ils sont. Cela mettrait littéralement leurs vies en danger. Alors ils restent, et vivent selon les règles du pays. Mariage, progéniture, rodéo, moutons, vies faites de détails, suspendues sporadiquement, le temps d'un week end, pendant deux décennies. Jamais ils n’envisagent de partir pour s’installer là où ils pourraient vivre librement. La raison en est que quitter leur terre est une idée qui n’existe pas, comme un mouton à cinq pattes, une herbe bleue ou un hiver sans neige. Ils ne sont pas conscients d’une telle alternative. Tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils connaissent, se limite à ce qu’ils ont déjà vu. Ils ne se savent pas prisonniers, les frontières de leur geôle s’étendant sur plusieurs milliers de kilomètres carrés, à ciel ouvert.
Ils ne connaissent qu’une manière de faire, de vivre, et même de mourir. A l’aune de ces règles, être librement ce qu’ils sont est impossible. Point.