Il est difficile, avec le recul, de se souvenir très exactement l’état d’esprit dans lequel les fans de cette exceptionnelle saga pouvaient se trouver en décembre 2003, lorsque la sortie de cet ultime opus de l’adaptation cinématographique la plus ambitieuse de son temps était imminente, après une année probablement insoutenable d’attente. Car depuis que l’on en a fini avec cette histoire fabuleuse, aucune franchise, pas même lorsque Peter Jackson lui-même s’y est remis à l’occasion du « Hobbit », n’a pu rivaliser avec la puissance évocatrice de ces 3 films, qui plus est lorsque l’on a eu la chance de les voir ensuite dans leurs versions director’s cut, les seules à même de restituer au mieux toute la richesse de cet univers. Si l’on peut toujours regretter ne plus pouvoir ne serait-ce qu’approcher la puissance d’exaltation à l’oeuvre ici, il nous reste toujours l’Oeuvre de Peter Jackson, qui restera à jamais dans la mémoire comme l’une des pages les plus extraordinaires de toute l’histoire du cinéma, et dont ce troisième volet constitue le point d’orgue, là où le réalisateur Néo-Zélandais aura mis ses dernières forces afin de tout transcender sur son passage, et de laisser le spectateur épuisé d’avoir tant vibré durant les 4 heures de cette version longue absolument définitive.


En pleine possession de ses moyens, grâce au succès des précédents volets, il semble flotter bien au-dessus de tous les autres cinéastes en activité, ayant désormais acquis un sens de la narration (ne parlons même pas de sa mise en scène, dont on savait depuis déjà longtemps ce dont il était capable) lui permettant de naviguer d’un personnage à l’autre, d’une action à une autre, avec une fluidité laissant pantois à chaque visionnage. La tâche était quasiment impossible, car il fallait tout autant poursuivre sur les enjeux laissés en suspens du précédent, et savoir partir dans sa direction propre, cheminant désormais inéluctablement vers son issue grandiose et décisive pour l’avenir de tous ses protagonistes. Le cinéaste expliquait l’absence de la mort de Saroumane dans la version salles par le fait que cette longue séquence donnait l’impression de poursuivre le précédent au lieux de commencer ce final. Ce qui était tout à son honneur, car il en fallait du recul sur son propre travail pour oser laisser de côté un pan si important de son histoire, pour favoriser l’expérience du spectateur de cinéma. Et pourtant, difficile maintenant d’admettre que l’on ait pu se passer de cette séquence, tant elle est un moment majeur de l’histoire. Quoi qu’il en soit, passé ce moment décisif, il ne s’agit pas de perdre de temps, et l’on passe à nouveau de personnages en personnages, suivant à la fois Frodon et Sam, accompagnés d’un Gollum plus vicelard que jamais, alors que l’anneau resserre son emprise sur le pauvre Hobbit qui en a la charge, mais également tous nos héros en marche vers la plus grande bataille qu’ils aient connue, dont l’issue définira l’avenir de toute la terre du Milieu.


Et passé un début de film étonnamment calme, d’une pesanteur funeste faisant peser tout son poids sur l’ensemble du récit, les visions d’avenir s’avérant particulièrement morbides, le récit finit par se mettre en mode épique, et à partir de la moitié du film, tout n’est que morceaux de bravoure à n’en plus finir, dont chaque micro seconde semble viser une sidération du spectateur remettant en jeu le statut de sommet de l’instant précédent, atteignant régulièrement des fulgurances faisant ressembler les plans à des tableaux d’apocalypse tout simplement hallucinants. Comme dit plus haut, Jackson était ici en pleine possession de ses moyens et plus rien ne lui faisait peur en matière de déploiement de force, ses scènes de batailles étant encore aujourd’hui ce que l’on a vu de plus beau et épique au cinéma. Tout simplement car il ne se repose jamais sur ses lauriers et tente réellement de tout remettre à zéro à chaque nouvelle scène du genre, la précédente appartenant dès lors au passé, sa seule obsession étant d’aller toujours plus loin, dans une optique d’exaltation d’une noblesse pure.


Tout ceci n’est pas gratuit, et chaque moment du genre est porteur d’enjeux humains qui finissent par nous dépasser par leur démesure, chaque moment de bravoure du moindre personnage en action ici finissant par faire ressembler ce dernier à une statue en état de grâce permanente. Chaque discours à vertu galvanisante prononcé avant une nouvelle charge monumentale titille notre fibre patriotique, même si on est ici au-delà de ce simple état de fait, et exalte l’héroïsme le plus absolu. Lorsque Aragorn, avant l’ultime offensive contre les forces de Sauron, se retourne vers son armée et murmure « Pour Frodon » avant de s’élancer vers leurs ennemis, les frissons parcourent tout notre corps, les larmes viennent, et on rêve de se retrouver à nouveau en salle, au moment de la sortie du film, pour pouvoir se lever de son siège en transe et applaudir à tout rompre.


Oui, Le retour du roi, c’est ça, de l’épique sous sa forme la plus lyrique et définitive, où la fureur guerrière côtoie la noblesse des sentiments, les trahisons et le dépassement de soi. On n’oublie pas les nombreux regards de chaque protagoniste, qui ont toujours fait partie intégrante de cette saga dès le premier film (ceux compatissants de Gandalf, ceux perdus de Frodon, ceux de Aragorn face à l’amour impensable qui lui est offert par Arwen, ou de ce même Aragorn face à Eowyn, la guerrière aux cheveux d’or, dont l’amour pour ce dernier ne pourra jamais lui être rendu …). Dans ces moments de romantisme, la candeur est d’une telle évidence, d’une telle pureté, que la question de la naïveté ne se pose jamais, il n’y a que les cyniques qui peuvent trouver à y redire. Comment résister à Eowyn, dont le statut de Femme devrait en principe l’empêcher d’aller combattre, se transformant en amazone impitoyable s’élançant face au plus terrifiant des Seigneurs de Sauron chevauchant son Nazgul, incarnation de la Mort, dans une vision purement dantesque où l’on atteint à un stade supérieur de l’héroïsme ? Ou de cette même Eowyn hurlant face à la charge démente qui s’annonce ? Tous ces instants contribuent à la grandeur de l’ensemble, qui ne laisse véritablement jamais le temps de souffler, chaque seconde s’inscrivant comme un moment inoubliable gravé à jamais dans notre esprit.


On ne compte plus tous les enjeux Shakespeariens, moments tragiques, romantiques, furieux, désarmants que compte ce final, on ne peut tous les énumérer, et cela serait même totalement vain aujourd’hui. Il est surtout incroyable de constater que depuis la sortie de cet opus ultime, aucun film à vocation épique n’a su nous faire vibrer de la sorte, aucun cinéaste n’ayant semble-t-il tenté de remettre en jeu le statut de Roi de Peter Jackson. Ce dernier restera pour un moment encore ce demi Dieu à qui rien ne fait peur, aucune entreprise délirante, ayant eu l’inconscience et le génie de donner vie à l’écran à son rêve de toujours, se donnant les moyens de ses ambitions, et surtout, n’ayant jamais perdu de vue l’essentiel, à savoir laisser toute la place à l’humain, même lorsque ses personnages sont des Nains ou des Elfes. Difficile de se remettre de pareil monstre de cinéma, même après tant de visions, et l’on se dit à son issue que tout le reste ne peut paraître que bien fade à côté. Pour les derniers sceptiques, les choses étaient cette fois totalement claires, la grâce était avec Peter Jackson sur ce coup-là, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Que cet homme soit béni !

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le 11 nov. 2020

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micktaylor78

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