Le jour se couche pour Gabin
En 1968, alors qu'il est la star montante du cinéma français, Louis de Funès s'unit à Jean Gabin, l'artiste ultime, qui n'a plus rien à prouver, pour offrir une ode à la vie. Un film, Le Tatoué, qui serait réunir le talent des deux artistes, le sens du bon mot de Gabin et les mimiques de De Funès. On aura des colères mémorables où le tonnerre sera Gabin et les éclairs De Funès.
Malheureusement, toute la meilleure volonté du monde ne suffit pas toujours et Le Tatoué est un bel exemple de réussite qui ne fut pas au rendez-vous.
L'histoire démarre pourtant en trombe, sans aucune introduction d'aucune sorte. Collectionneur d'art, Félicien Mézeray (De Funès) rencontre par hasard Legrain (Gabin) qui a un tatouage réalisé en 1919 par Modigliani. Souhaitant acquérir cette pièce unique, il va tout faire pour cela, quitte à l'avoir déjà revendu avant sa possession. Legrain accepte, sous condition que Mézeray fasse réparer sa maison de campagne ...
Le film démarre bien vite, sur les chapeaux de roue. On est embarqué dans le film, sans aucun autre choix possible, on est amené à se ravir devant cette opposition entre De Funès et Gabin. Ce-dernier étant toujours aussi grand. Les grandes phrases sur la vie, la vraie vie seront présente et plus d'une fois le passé de légionnaire de Legrain marquera le spectateur.
Malheureusement, il y a aussi, derrière cela, un certain message très limite. Legrain est très excentrique et accompli ce qu'il considère comme étant, moralement, en droit d'accomplir quand bien même cela serait de la séquestration ou un meurtre. Une opposition farouche aux Etats-Unis se fait jour. Seul les nobles, vestiges d'un ancien régime, vivraient pleinement, les petits bourgeois carriéristes seraient, eux, bien fades. Il y a une méfiance de l'autre, une haine du matériel qui en vient à un amour de faux principes sans réel intérêts. Au final, De Funès et Gabin ressemblent d'ailleurs plus à deux fous qu'à deux grands hommes comme ils auraient pu l'être dans d'autres oeuvres.
J'ai beaucoup de mal avec le personnage de Legrain, parfois grandiose (le récit de son tatouage par exemple) et parfois ... Horrible. Horrible si on compare aux nombreuses vies tragiques que Gabin a incarné. Pour eux, Legrain ne serait qu'un menteur sans vergogne, un aristo' qui se cache derrière l'armée plutôt que regarder le cynisme de la vie en face.
Mais si il n'y avait que la difficulté de fond.
Non, la forme laisse plus d'une fois à désirer. Le film repose, quasiment, exclusivement sur l'opposition entre les deux acteurs, entre les deux manières de jouer. Loin d'être un choc c'est plutôt une gêne qui s'installe tant les deux univers ont du mal à se rencontrer. Les seules seules réussites se trouvent être du comique de répétition, c'est à dire le plus banal, le moins intéressant. Certes, on a quelques belles phases et quelques situations très drôles, mais la majorité du film repose, en sommes, sur de la répétition de scènes lourdes.
Les solutions, la réconciliation apparaît avec une gratuité sans intérêt, sans existence finalement, une manière de clôturer le film si faiblement que c'en est triste.
La narration est de son côté, bien souvent moyenne et peine à captiver dans l'enchainement.
Cependant, outre le talent d'acteurs des différents protagonistes (car il n'y a pas que De Funès et Gabin, Dominique Davray, Henri Virjoleux, Jo Warfield ou encore Donald Von Kurtz sont autant d'acteurs de qualités), on notera la très belle bande-son, particulièrement dynamique. On n'oubliera pas non plus les décors, bluffants et somptueux qui immergent le spectateur dans cet espace si grand.
En sommes, on regrette surtout, à la vue de ce film, qu'il ait si peu à offrir. Comme si il n'avait été travaillé qu'à la va-vite en se reposant sur ses lauriers. Avoir de bons acteurs et une bonne technique est une chose, savoir utiliser son potentiel en est une autre.