La Science-Fiction selon M. Night Shyamalan : la culture de la peur paradoxale

Chers Camarades, veuillez prendre place autour d'un petit feu de camp, épis de mais à la main et brochettes de porcs caramélisées [j'écris cette critique aux alentours de 12:37, vous m'en direz tant]. Et laissez moi clarifier ce formidable paradoxe du cinéma durant lequel on développe une peur radicale envers la mystérieuse créature d'un film que le cinéaste nous cache, tentant manifestement de nous maintenir en suspens... Avant de la dévoiler subitement durant le dernier acte ! Dès lors qu'on aperçoit le danger, la peur disparaît ou du moins s’atténue considérablement ! Pourquoi ? Surement parce qu'on a finalement plus peur de l'inconnu, et de ce qui n'est pas perceptible à l’œil nu.


Quand ces quelques maîtres du cinéma d'horreur et de science-fiction se sont aperçus qu'il n'y avait rien de plus puissant que l'imagination-même du spectateur, la grande tendance se démocratise. M. Night Shyamalan fait de même avec The Village (2004). C'est vrai, durant toute une partie du film, mon imagination m'a permis de me façonner mentalement tout un panel de bestiaires tentaculaires. Pourtant la fiction se fait finalement très discrète dans cette oeuvre, bien plus que dans Sixième Sens (1999) et Signs (2004). Le premier acte du film se trouve être une propagande de la peur. Véritable pilier de la communauté, la Peur maintien le peuple, forge la confiance et alimente des croyances culturelles savoureuses. Comme le peuple, on y croit, on se prend au jeu comme des gamins écoutant sagement les histoires horrifiques de cet oncle à l'esprit trop fantaisiste. Une grande partie du mérite revient à ce casting de grande envergure. Avec un peu de recul, la peur est finalement créée par les personnages eux-même. Adrien Brody pour exemple, livre une très belle interprétation, on sent qu'il prend plaisir.


De l'autre côté de la caméra, Shyamalan façonne cette culture de la peur tel un céramiste manipulant passionnément l'argile tournoyant de sa tour ; il truffe son histoire de plans fixes, la peur et le mystère ne sont que grandissant. Le cinéaste apprécie également, lier la "peur du monstre" avec les angoisses psychologiques et traumatismes de la vie réelle. En combattant sa peur contre le "monstre" on lutte incontestablement contre nos angoisses et nos pires craintes. Et je trouve cela plutôt brillant comme approche. The Village ou quand le cinéma montre comment la peur peut se propager telle une épidémie. Personne n'en sort indemne, excepté ceux et celles animés par une émotion bien plus puissante, l'Amour. Une séquence mémorable illustre formellement mes propos ; celle dans laquelle le personnage de Joaquin Phoenix attrape fougueusement la main de Bryce Dallas Howard. Un geste qui dénote la démonstration faites par le protagoniste pour prouver son attachement sentimental. C'est limpide et introduit à un moment clé de l'histoire, faisant sans équivoque, l'une des séquences les plus réussies de l’œuvre. En un geste, on y entrevoit l'angoisse et la tension se substituer à la romance, telle la lumière éblouissant les ténèbres. C'est B.E.A.U.


Puis arrive le deuxième acte... Celui dans lequel le ScoobyDoo-Twist, comme je les appelle, intervient. Bien que la suite de l'histoire soit porteur de sens, j'ai trouvé la chute d'une grande médiocrité. La faute à la forme et non au fond. La suite désintéresse et certaines séquences post-twist ending chavire dans le grand-guignolesque. Un peu comme ce moment quand cet oncle ricane en fin d'histoire, le bougre s’esclaffant et se moquant en affirmant que ce qu'il a pu raconter se révèle faux. Aaaahaa... Pauvre naze.
Quant aux débouchés de l'histoire, ils auraient pu offrir de nouvelles sous-intrigues, le deuxième acte nous laissant de nouvelles interrogations. Cela dit le back-story sera finalement à peine exploité. Enfin, pour ce qui est de la romance construite en premier acte, celle-ci est à mon sens sérieusement perturbée dans le deuxième acte ; la séquence finale perdant fortement en intensité et une piètre conclusion à l'histoire. Décevant.


The Village, est à son désavantage l'illustration parfaite de cette peur paradoxale où le "monstre" de cinéma fait peur dès lors qu'il ne se montre pas.

Jordan_Michael
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le 8 févr. 2018

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