Le projet de Cédric Tourbe, collaborant avec l'historien Marc Ferro et le politologue Michel Dobry, est simple : déconstruire la propagande soviétique qui dépeint Lénine comme un leader visionnaire et omniscient, ayant fait plier le cours de l'Histoire en portant son parti bolchevique au pouvoir lors de la Révolution d'Octobre. A première vue, l'intention est louable, en plus d'être une piqûre de rappel bienvenue à l'occasion du centenaire de la Révolution russe. Faire quelques pas de côté afin de prendre un recul historique sur les événements, s'écarter de la propagande pour essayer de présenter une vérité sans doute plus proche de la réalité, le projet semble pertinent.


Et en effet, l'opération de déconstruction fonctionne assez bien, sans doute un peu trop tant Cédric Tourbe s'y emploie au bulldozer, allant même jusqu'à suggérer que Lénine, enragé dans la défense de sa doctrine violente, ait pu paraître à un moment "déséquilibré". Loin de simplement démonter la propagande soviétique, ce film construit à son tour sa propre image de Lénine, celle d'un monomaniaque de l'insurrection, toujours loin quand les foules se massent devant les lieux de pouvoir, et toujours proche quand il s'agit de convoiter ce même pouvoir, qu'il parvient à prendre dans un concours de circonstance mêlant chance et opportunisme.


Ce traitement, en voulant lutter contre une version idéalisée du personnage, sombre lui aussi dans la partialité, ne s'en cachant même plus lors du monologue final de la voix off, totalement à charge contre le régime bolchevique dans lequel absolument tout serait à jeter. La vérité se situe probablement entre ce film et le grandiose "Octobre" d'Eisenstein (1928), film glorifiant la figure de Vladimir Oulianov, dont quelques extraits sont utilisés ici en illustration.


Lorsque le documentaire se termine, de nombreuses questions subsistent : comment la population de Petrograd, une fois descendue des barricades, a vécu cette révolution au quotidien ? Que s'est-il passé dans les usines ? Par quel miracle les bolcheviques ont-ils pu se maintenir au pouvoir et consolider leurs positions, alors qu'ils sont décrits comme un courant minoritaire qui a simplement su s'emparer du pouvoir de manière opportuniste ? Comment Lénine, obsédé par la prise du pouvoir (apparemment pour venger la mort de son frère), a-t-il pu s'imposer au sein de son parti et du Soviet face à des figures en apparence bien plus charismatiques ?


Ces questions là, laissées sans réponses ou trop brièvement traitées, révèlent la partialité du travail de Cédric Tourbe, qui laisse volontairement ces interrogations dans l'ombre pour n'éclairer que les éléments qui constituent le chemin qu'il veut nous faire suivre. Pour ma part, la ballade n'a été que moyennement appréciée.

Lorenzaccio
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le 11 avr. 2017

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