Attention, un Hitchcock peut en cacher un autre. A l'image de la couverture du roman éponyme de John Buchan dont est tirée cette adaptation (on y voit un homme poursuivi par un avion), Les Trente-Neuf Marches ressemble étrangement à "La mort aux trousses". La similitude de la thématique est évidente et n'a pas échappée aux critiques qui considèrent ce film comme un des plus importants de sa filmographie. Le film contient déjà tous les éléments qui feront le succès et la force du cinéma de Hitchcock : une intrigue d'espionnage, une poursuite échevelée (qui démarre à Londres, se poursuit en Ecosse pour revenir à son point de départ), un MacGuffin, de l'action, de l'humour et même de l'érotisme. Pourtant, l'histoire peut paraitre dès le début totalement invraisemblable : après des coups de feu dans un music hall, Robert Donat, un canadien incarné par Richard Hannay (le charme de Blake…), est abordé par une ravissante inconnue qui lui demande de l'inviter chez lui. Elle meurt rapidement (de façon assez théâtrale), froidement poignardée par des inconnus. Ils auraient pu faire d'une pierre deux coups en éliminant dans la foulée notre gentleman mais il faut bien lui donner une chance de fuir pour déjouer les plans machiavéliques de cette société secrète qui livre des informations à l'ennemi.
Et c'est parti pour plus d'une heure de course poursuite, en train, en voiture et à pied. Notre homme se retrouve même menotté à une femme (Madeleine Carroll) qui n'en demandait pas temps, donnant lieu à une scène érotique du plus bel effet. Hitchcock change de rythme dès qu'il le peut, alternant avec brio action et humour (il était réputé pour faire des blagues sur le tournage, comme par exemple, égarer les clés des menottes, sacré Alfred). Ne disposant pas d'un budget important, il multiplie les ellipses pour certaines scènes et fait déjà preuve d'un talent assez exceptionnel. Le temps d'un plan incroyable (et audacieux), il parvient à passer de l'intérieur à l'extérieur d'une voiture qu'il laisse ensuite filer dans la campagne écossaise. Des scènes farfelues, comme l'apparition d'un avion étrange, font parfois sourire sans jamais pénaliser le film. Autre passage mémorable, Richard Hannay trouve refuge chez un couple. Si l'homme est plutôt bourru, la femme semble rapidement séduite par cet inconnu et Hitchcock laisse planer le doute quant à une possible idylle. Méfiant, le mari trouve le moyen de s'absenter pendant le repas pour tenter de les confondre. Alors qu'il aurait pu rester dans la pièce, nous permettant d'entendre l'échange entre Hannay et la femme, Hitchcock choisit plutôt de suivre l'homme à l'extérieur afin d'observer la scène par la fenêtre. Hitchcock s'amuse et ne va pas forcément où on l'attend, signe qu'il va falloir compter sur ce tout jeune réalisateur anglais. Les grands studios américains ne tarderont pas à le remarquer et il cédera aux sirènes d'Hollywood après avoir signé encore quelques films en Grande-Bretagne.

Yeahmister
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 21 juin 2015

Critique lue 577 fois

8 j'aime

2 commentaires

Yeahmister

Écrit par

Critique lue 577 fois

8
2

D'autres avis sur Les 39 Marches

Les 39 Marches
Docteur_Jivago
9

So British !

Après L'homme qui en savait trop en 1934, Les 39 Marches confirme Hitchcock dans l'espionnage et le suspense, style qu'il continuera d'exploiter jusqu'à la fin de sa carrière. On retrouve ici tout ce...

le 5 juil. 2016

36 j'aime

4

Les 39 Marches
fabtx
7

A quatre à quatre vers la gloire

Zut, j'ai loupé le caméo, il va me falloir un deuxième visionnage! Histoire d'un homme accusé à tort de meurtre et qui fuit pour essayer de prouver son innocence (tiens, tiens, j'ai déjà vu ça...

le 14 janv. 2011

33 j'aime

2

Les 39 Marches
Sergent_Pepper
8

Critique de Les 39 Marches par Sergent_Pepper

British en diable, enlevé, très drôle et fin. L'acharnement du monde contre l'espion malgré lui est jubilatoire, et le flegme avec lequel il affronte certaines situations - et sa compagne - est un...

le 19 juin 2013

24 j'aime

4

Du même critique

Holy Motors
Yeahmister
10

Critique de Holy Motors par Yeahmister

Après l'immense déception qu'était Pola X, film à la limite du grotesque, je n'attendais plus grand chose de Carax dont je plussoie Mauvais Sang, son chef-d'œuvre. Si Holy Motors parait aussi...

le 28 déc. 2012

15 j'aime

Some Deaths Take Forever
Yeahmister
10

Critique de Some Deaths Take Forever par Yeahmister

Moins connu que Jean-Michel Jarre, mais beaucoup plus intéressant, le Grenoblois Bernard Szajner, né en 1944, est une figure mythique de l’électronique expérimentale française. Il restera d’abord...

le 16 sept. 2012

15 j'aime

1

Heresie
Yeahmister
10

Critique de Heresie par Yeahmister

Univers Zéro est probablement l'entité la plus troublante et sombre du prog-rock. C'est un mélange fascinant de jazz (parfois klezmer, notamment sur l'album Clivages) et de musique de film...

le 28 mars 2016

12 j'aime