Si Versailles m'était conté
(Spoiler)
1789, Versailles vit le crépuscule d’un régime, tandis qu’à l’horizon se dessine un nouveau jour, historique. Dernière forteresse d’une monarchie repliée sur elle-même, ce château vient servir de toile de fond à un triangle amoureux, inséré dans la grande histoire.
Sidonie, jeune lectrice de la reine, renferme un amour secret pour celle-ci. Dévouée et fidèle, elle demeure dangereusement soumise à ses sentiments. Marie-Antoinette ne partage pas cette passion, qui se détourne vers une duchesse. Eprise de Gabrielle de Polignac, la reine a vraisemblablement précipité sa chute lui accordant ses bonnes faveurs.
L’intérêt du film réside dans sa capacité à extraire de l’intime une portée significative. Sidonie est, tel Versailles, tiraillée entre désillusion et espérance, au point d’aller à sa perte. Fragilisé et aveuglé, son comportement renvoie à celui du gouvernement, alors que règnent en Versailles rumeurs, devenant peur, jusqu’au dérèglement.
Et pour rendre compte de cette panique, Jacquot embrasse le point de vue de Sidonie. Agitée et refusant tout maniérisme, la mise en scène évite l’écueil de l’académisme. Il filme avec modernité cette déchéance sentimentale et gouvernementale, et donne ainsi âme à un lieu hanté par la crainte. Les décors n’ont pas le sublime ostentatoire des films en costumes, mais se veulent, au contraire, d’une tristesse proche d’un cœur prêt à s’éteindre.
Car oui, Louis XVI a beau être sur le déclin, c’est aussi les battements désespérés d’un cœur amoureux qui agitent Sidonie, dont les sentiments s’écroulant voient survenir la fin de son être : à la fin du film, elle dit n’être plus rien. Le régime et son cœur s’effondrent, quand s’abat sur elle la douleur due à la non réciprocité des sentiments de sa désirée.
Point culminant du film, Sidonie, dévêtue devant la reine, laisse deviner en ses yeux la promesse d’une offrande : elle donne son cœur à la reine. Ignorée par une Marie Antoinette dont l’esprit oscille entre son monde égocentré et celui de la duchesse - comme le suggère les balancements de la caméra lorsqu’elle s’entretient avec Gabrielle De Polignac -, Sidonie nous touche alors profondément dans son désespoir.
Un rêve qui disparait quand la passion n’a trouvé moyen de s’assouvir. Sidonie ne vivait qu’à travers les yeux de la reine. C’est pour quoi la scène la mettant à nue n’est pas anodine : elle renvoie à une séquence précédente dans laquelle Sidonie contemplait le corps dénudé de la duchesse, avec autant de jalousie que d’estime. Se comparer à la duchesse, comprendre ce qui les distinguait tant, chercher les raisons qui poussent la reine à ne pas lui accorder ses sentiments, voilà pour Sidonie les réponses à trouver pour exister. Le film montre alors un désir chez elle de ressembler à la duchesse, ce qui passe par une tentative de relation avec Paolo - un jeune homme proche de la duchesse -, l’offrande du corps à la reine et l’inversion finale des rôles, sans conséquence. Même en prenant place sous les habits de la duchesse, l’amour reste à sens unique, et derrière cette cruelle vérité surgit l’émotion, la compréhension que Sidonie assiste à sa perte.
La force émotionnelle du film tient avant tout à la grâce de ses actrices. Dianne Kruger en Marie-Antoinette est aussi irritante que pathétique dans sa frivolité, alors que tout la menace. Léa Seydoux, en Sidonie, laisse paraître, sans forcer, l’ardente passion qui gît en elle. Chaque scène passée en compagnie de la reine est d’une sensualité palpable. Les sentiments, limpides, n’ont besoin d’être grossis. C’est cette finesse qui finalement nous emporte, les derniers éclats d’un amour alors qu’autour s’écroule un monde.