Les Adieux à la Reine est, chose indéniable, une magnifique reconstitution historique d'une précision infinie (même si l'ensemble est en partie romancé). Les décors (tourné à Versailles même !), les costumes, les objets... tout est ciselé et on ressent qu'un vrai travail a été fourni de ce côté là.
Le film sonne comme une sorte de fin d'un monde (et non du), aspect souligné par la numérotation de chaque jour (tel un film post-apocalyptique) et par la véritable confusion, la panique générale qui règne au château (d'ailleurs uniquement fondé sur des chuchotements et des ragots qui viennent d'on en sait où), à l'image de cette formidable et longue scène de panique dans un couloir qui accentue l'idée d'angoisse et de claustrophobie. Le tout est filmé caméra à l'épaule. Et là est la grande modernité du film. Benoît Jacquot, si l'on en croit ses dires, à souhaité donner l'impression qu'un reporter suivait le personnage principal et filmait les événements qui se passaient autour de lui. Et c'est une réussite. L'effet est flagrant, on se sent plongé dans ce qui sonne comme les dernières heures du royaume et l'on se laisse perdre dans les dédales du château.
L'idée d'angoisse, de mystère, de peur qui transcende le film entier est admirablement symbolisée par le fait que les grands événements ne nous sont pas montrés. Et lorsqu'ils le sont, on ne les voit que du point de vue du personnage principal, c'est à dire de loin, de haut, mais jamais au cœur. Si le personnage ne sait pas, le spectateur ne sait pas. Si le personnage ne voit pas, le spectateur ne voit pas. Parti pris très intéressant et d'autant plus fort que Jacquot s'y tient jusqu'au bout.
Esthétiquement, le film est beau, quasi pictural. Un travail magnifique a été porté sur les éclairages ; le directeur de la photographie a préféré filmer avec des éclairages naturels. Ceux - ci rendent parfaitement et les scènes de nuit, éclairées par des bougies, sont d'une beauté stupéfiante. Le tout est magnifié par la caméra de Jacquot qui, quand elle ne suit pas le personnage principal dans ses pérégrinations, use de mouvements pour donner une "patte" singulière au film. Ainsi les visages sont souvent isolés, les couples qui pourraient être unis en un même plan, le sont séparés en deux... Et les scènes intimes sont souvent observées par d'autres personnages, accentuation d'un voyeurisme qui correspond à l'époque.
La musique, discrète mais forte, moderne et intelligemment utilisée, ne fait que magnifier le jeu de grandes actrices dont la sensualité est au plus haut. Car c'est un film de femmes. De vraies. Kruger en tête, avec son rôle de reine puérile, éperdument amoureuse de Virginie Ledoyen, peu présente mais dont le regard pèse, avilit l'ensemble. Reste Léa Seydoux (j'aurais toujours du mal avec elle je le crains) qui reste fade malgré l'importance de son rôle (pas une seule scène sans elle). Leur sensualité et leur érotisme déborde. Leur jeu de regard et la finesse de leurs paroles (dialogues finement écrits) est gâchée par une diction souvent trop rapide et étouffée par des micros qui m'ont parfois fait ne rien comprendre. Et cela gâche le tout. Jacquot a souhaité une diction jeune et moderne de ses actrices, mais fallait-il pour autant que l'on n'y comprît plus rien ?
Le film repose entièrement sur une opposition entre modernité de la mise en scène et classicisme de l'époque. Opposition théâtrale s'il en est. Car à y regarder de plus près, le film est TRES théâtral. Huit - clos, acteurs de théâtre (Anne Benoit par exemple), travail minutieux sur les costumes et les éclairages, soin sur l'écriture des textes, esthétique picturale, mise en contexte...

Tout cela est beau, maîtrisé de bout en bout. Mais au service de quoi ? A la fin du film (qui passe extrêmement vite d'ailleurs) on se demande "Mais où tout cela nous mène - t'il ?". On ne sait pas quoi penser. La réussite esthétique est là, le jeu est là, les dialogues sont là, les décors et accessoires sont là ... mais le scénario ? Le film, et c'est en cela qu'il est vraiment intéressant, repose sur une intrigue quasi inexistante, sur des personnages qui nous sont inconnus (et qui semblent aussi inconnus aux autres personnages, d'après une scène du film) et sont très peu fouillés.
Il n'y a pas de début et la fin arrive tel un cheveux sur la soupe. On sort donc pleins d'interrogations (et peut être pas des interrogations souhaitées par le réalisateur). Je ne vois pas où tout cela nous mène. Et c'est dommage car le film, comme il est présenté, rentrera surement par une oreille et sortira bientôt par l'autre. Une parenthèse pas très marquante.

Un film mystérieux, sensuel et esthétiquement impeccable. Une réussite en soi.

Créée

le 23 oct. 2014

Critique lue 219 fois

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Charles Dubois

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