Fichue déformation professionnelle qui pousse le critique, à la découverte du film d'un nouveau cinéaste, à aller quérir dans sa cinéphilie l'indispensable référence qui étayera sa prose... Pourtant, quoi de plus exaltant que d'être confronté à un style nouveau qui se refuse toute paternité, toute filiation ? Quoi de plus encourageant qu'une comédienne (bonne, de surcroit) qui franchit le pas sans se casser la gueule, en gardant la tête haute (et froide) et nous apporte une œuvre aboutie, fort joliment écrite et truffée d'excellentes idées ?

On connaissait Mélanie Laurent, son apparente fragilité d'oiseau tombé du nid, trimballée comme une boule de flipper dans une quête existentielle chez Lioret (le très beau Je vais bien, ne t'en fais pas), infirmière en lutte contre la barbarie nazie (le déplorable La Rafle) ou opiniâtre violoniste dans le gentillet Concert. La voilà aujourd'hui portant sur ses frêles épaules un projet qui en cinq ans est passé d'une idée à un des meilleurs films de l'année.

Oui, le passage derrière la caméra est une réussite majeure. Décomplexée à l'envi, la comédienne devenue cinéaste parle d'un sujet déjà vu moult fois que d'aucuns taxeront bien injustement d'une « histoire de plus de nanas ». Nous songeons durant la projection à quelques films qui auraient pu l'influencer. Les Petits mouchoirs : pas de bol, le film n'existait pas encore ! Un rapport avec tous ces cinéastes ayant eu les femmes dans leur ligne focale ? Bof, rien d'almodovarien ou bergmanien dans Les Adoptés. Les films faits par des femmes ? Aucune chance...

Une histoire de nanas, Les Adoptés ? Pas si sûr, au fond. Outre le titre qui n'est pas au féminin, le rôle le plus beau, le plus complexe est donné à un homme que la cinéaste filme amoureusement. Denis Ménochet est juste grandiose dans la peau d'Alex, ours débonnaire au cœur d'artichaut coincé entre deux femmes, une qu'il aime et l'autre qui le déteste d'aimer trop la première... Cet inextricable écheveau des sentiments que démêlent avec une habileté stupéfiante les trois scénaristes constitue l'une des grandes forces du film. Le dialogue est magistralement écrit et réserve de vraies surprises, tant d'un point de vue strictement narratif que dans l'art de la rupture.

En effet, même s'il s'agit d'un drame, jamais on ne plonge dans le mélo ni le pathos. L'empathie, oui, bien sûr. Mais jamais au point de s'y noyer. De nombreuses respirations comiques ponctuent le propos et y sont parfaitement intégrées. Du coup, entre humour et tragédie, le cœur balance sans cesse et le film n'en est que meilleur.

De la même manière, Mélanie Laurent a su insuffler à sa mise en scène une vraie identité. De nombreuses ellipses d'événements très réels vont porter le film dans une autre dimension. On y meurt : point de scène d'enterrement. On y naît : point de vagissements post-nataux. A ces clichés, la cinéaste substitue des séquences oniriques de toute beauté, des envolées qui font décoller son film. L'utilisation du ralenti mais surtout du flou omniprésent va traduire cette volonté de sortir du réalisme ou du naturalisme. Fusion plus que télescopage entre fantasmagorie et réalité, Les Adoptés, soutenu par une interprétation de haut vol et une bande son judicieusement sélectionnée, ouvre grand un horizon de promesses : celles de découvrir une cinéaste sur laquelle il faudra désormais compter.

Bilan : Mélanie Laurent passe derrière la caméra et réussit un film superbe, drôle et émouvant à la fois sur la fraternité, la famille, l'amitié. Elle s'est entourée d'une équipe de comédiens formidables qui portent haut son projet bourré d'audaces et de partis pris de mise en scène. A director is born !
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le 22 déc. 2011

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