Les Ailes de l'espoir
7.4
Les Ailes de l'espoir

Documentaire de Werner Herzog (1999)

Les Ailes de l’espoir, réalisé en 1999 et diffusé en 2000 est un documentaire dans lequel Werner Herzog retourne dans la forêt équatoriale sud-américaine avec Juliane Koepcke, une femme allemande unique survivante d'un accident d'avion survenu le 24 décembre 1971 et qui a causé la mort de 91 personnes. Ce film, réalisé pour une diffusion télé, concentre dans laps de temps très court (65 minutes), les obsessions de Herzog et son style passionné.


Herzog est à la fois un réalisateur, mais aussi un aventurier. En témoigne son ouvrage Conquête de l’inutile publié en 2004, retranscription de son journal intime sur le tournage de son film Fitzcarraldo. On y découvre son dévouement total à la réalisation de ce film. Il se confronte à la jungle et explore les confins du monde à la rencontre de peuples autochtones. Dans l’extrait des Ailes de l’Espoir, Herzog filme Juliane Koepcke dans une forêt où il n’y a aucune trace de civilisation hormis les restes de l’appareil, victime d’un crash, 30 ans plus tôt. Juliane Koepcke découvre le site avec un pragmatisme troublant. Ce personnage que l’on pourrait croire traumatisé par cet événement tragique, voire sublime au sens philosophique, ne semble pas l’être. Juliane Koepcke analyse la scène d’une manière quasiment scientifique. Dans un premier temps, Herzog s’efface derrière la caméra. Il la filme qui ramasse des morceaux des décombres de l’appareil d’un air détaché. Herzog réussit à déjouer le sensationnalisme que l’on pourrait imaginer seyant à ce type de documentaire. En effet au premier abord, on s’imagine suivre une femme fragile qui va se confronter à une nature hostile. Mais finalement, cette femme, Juliane Koepcke, s’est construite une carapace pour résister à ce traumatisme tant physique que psychologique. “C’était le seul moyen pour elle de se distancer de sa propre peur et de la chasser” commente Herzog pendant qu’elle présente des objets trouvés dans les décombres. La nature environnante ne semble pas l’atteindre. Elle est plongée dans cette quête spirituelle et sa détermination à faire face. Elle n’éprouve pas de rancune face à cette jungle, ni même envers la compagnie aérienne. Le recul dont elle fait preuve est retranscrit par la fascination et la tendresse de Herzog envers son sujet.


Il me semble intéressant d’aborder le transfert qu’Herzog fait sur la femme qu’il filme. Juliane Koepcke est un personnage dans la mesure où elle appartient à un film. Elle est un personnage à la fois réel et fictif dans ce que Herzog veut en montrer. Pour replacer le film dans son contexte, Herzog, en 1971, était en repérage pour son film Aguirre et devait prendre le même avion que Juliane. Par un concours de circonstances, il ne l’a pas pris, et en apprenant la nouvelle du crash, il a immédiatement voulu en réaliser un film. Ce projet s’est donc concrétisé une trentaine d’années plus tard. On saisit immédiatement l’aspect obsessionnel de Herzog. De plus, il accompagne pleinement Juliane dans son voyage et apparaît dans plusieurs plans. Elle est un pur personnage “Herzogien”, dans la même lignée que Aguirre ou Fitzcarraldo (tous les deux interprétés par Klaus Kinski), animée par une relation complexe à la nature, entre crainte et fascination, et habitée par une certaine folie. Une folie dans l’aspect surnaturel de sa survie, que l’on peut rattacher à la folie créatrice de Herzog ayant voyagé dans les régions les plus reculées du globe en risquant sa vie pour réaliser ses films. 
Herzog, bien que laissant sa caméra libre en filmant les mouvements spontanés de son personnage, cède une grande place à son interprétation personnelle en commentant les images qu’il tourne. Il se permet d’ajouter une couche de fiction à la mise en scène en ayant scénarisé les rêves que Juliane décrit dans le film. Il permet ainsi de complexifier la psychologie du personnage qu’il étudie et d'insuffler un onirisme propre à son cinéma. Effectivement la séquence témoigne à la fois du pragmatisme de Juliane face à la situation et de son aspect détaché, comme si elle sortait tout droit d’un autre monde. La simplicité du procédé tient à la manière dont Juliane capte constamment l’attention de la caméra. On a simplement besoin de la suivre, sans artifice, son personnage en lui-même est fascinant d’apaisement. Werner n’a qu’à la suivre entre les décombres. Elle semble à l’aise, dans son élément, au point de récupérer avec une nonchalance déconcertante des débris que lui apportent les péruviens les accompagnant dans leur périple.

Si les Ailes de l’Espoir n’est pas considéré comme une œuvre majeure de Werner Herzog, elle s’inscrit pleinement dans la carrière de son réalisateur. C’est un documentaire intime dessinant un double portrait où le personnage de Juliane Koepcke se confond avec celui de Werner Herzog. La voix de l’un se superposant à l’image de l’autre. En définitif tout le cinéma d'Herzog est là, l’aventure, le récit intime, l’onirisme et le rapport à la fois conflictuel et symbiotique entre l’homme et la nature.

hyacinthe02
9
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le 9 févr. 2021

Critique lue 237 fois

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