Mesdames et messieurs, Almodovar airlines vous emmène aujourd'hui en péninsule ibérique, où vous aurez le plaisir de découvrir la nouvelle comédie d'un brillant réalisateur espagnol. Veuillez attacher votre ceinture, la tour de contrôle nous ayant indiqué que nous n'étions pas à l'abri de turbulences scénaristiques. Néanmoins, nous espérons que le vol vous sera agréable et que vous ne vomirez pas vos tapas. Vamos !

Ils décollent au quart de tour, ces Amants passagers. Après une apparition clin d'oeil aussi brève qu'inutile de Banderas et Cruz, acteurs fétiches d'Almodovar, certes. De façon tarabiscotée, on le concède. Mais le spectateur se marre indéniablement, tout en sentant qu'il plonge petit à petit au sein d'un immense délire. Si tout semble normal de prime abord au sein de l'avion où prendront place les événements, la folie s'invite avec célérité et fracas. Ainsi, la plupart des passagers dorment à poings fermés, le trio alcoolique de stewards qui les dorlote incarne le pire cliché de l'homosexualité jamais mis en scène au cinéma, et une douce dingue prétend flairer la mort grâce à une vision, au contact de l'entrejambe des pilotes. On vous avait prévenu, ça démarre fort.

Gavé de quiproquos, abreuvé de comique visuel, submergé par les doubles sens, le public se laisse séduire, accepte le troisième degré avec lequel le film n'a de cesse de flirter. Difficile, par contre, de ne pas se sentir scandalisé par l'image de l'homosexualité véhiculée ici. Bien sûr, ll y a des séquences lors desquelles cela fait sourire, voire s'esclaffer. Par exemple, celle de l'inoubliable spectacle de... euh... danse (?) sur I'm so excited, qui vaut réellement le coup d'oeil. Evidemment, on sait qu'il s'agit là d'un thème récurrent chez le réalisateur espagnol, qu'on ne peut qualifier d'homophobe pour autant. Tout de même, ça atteint plus d'une fois le vulgaire, et les vannes de cul font souvent du rase-motte. La quête de l'identité sexuelle, tellement subtile dans La Piel que habito, se résume en l'occurrence à des sous-entendus graveleux. On vous aura prévenu, ça tache sévère.

Et cet écueil du nouvel Almodovar n'est pas le dernier. Passée la première demi-heure, le long-métrage s'essouffle. L'oscarisé a beau ouvrir les hublots, l'équipage suffoque d'ennui, et l'extravagance des protagonistes échoue dans son office de masque à oxygène. Le rythme humoristique descend en chute libre, à cause de ce scénario qui cherche son style. Emberlificotée dans des détails incongrus, l'histoire acquiert une certaine fadeur, alors que la mixture s'annonçait comme délicieusement loufoque et emplie de surprises. On se contrefout des arnaques économiques narrées ou des révélations faussement dramatiques se mariant avec peine à l'ambiance décalée de début de film. Les figures les plus amusantes, comme cette pseudo voyante vierge à 40 ans qui viole un passager dans son sommeil (!), se révéleront malheureusement peu développées. Et la conclusion à la va-vite renforce ce sentiment de frustration. On aurait aimé être prévenu, ça déçoit sec.

Reste une demi-oeuvre dont l'humour décape allégrement, si l'on occulte ses clichés sur les gays à faire pâlir un militant FN. Un beau gâchis tout de même, cet atterrissage en catastrophe du vieux Pedro, tant l'excentricité installée avait du potentiel.


Boris Krywicki, avril 2013 pour Le Poiscaille n°14
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le 23 janv. 2015

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