L'assassinat du Préfet Erignac est survenu quand j'étais mioche. A l'époque, je me préoccupais bien plus de la Coupe du Monde à venir, et n'entravait pas grand chose à ce que disait à propos de 'l'affaire corse' les grandes personnes. Le temps a passé, et ma connaissance des implications dudit assassinat, ou bien plutôt acte politique, est restée au point mort jusque hier, où ma conjointe m'invita à regarder "Les Anonymes", un film de Pierre Schoëller avec Olivier Gourmet et Matthieu Amalric qui ne m'étais pas familier, même de nom. Film ? Ou plutôt téléfilm, passé sur Canal + en 2013, ceci expliquant peut-être pourquoi j'ai zappé cette sortie d'un réalisateur parcimonieux et qu'il me plaît de suivre depuis le très bon L'Exercice de l'Etat, film sur le politique incarné par le même Gourmet.


Les Anonymes, comme tout Schoëller, est donc un film éminemment politique. Seulement, les défauts, la myopie qui menace souvent le propos, vire ici au glaucome, et là où on pouvait toujours chercher dans ces autres films l'absence de contre-champ sur la populace, ou bien déplorer que le tout ne se mouille pas trop, se contenant plus souvent de décrier les mécanismes du politique comme stratégie et rapport de force plutôt que les propositions partisanes, on ne pourra passer à coté de certains partis pris qui grèvent un sujet pourtant pas si courant, corsé et racé. Le statut de la Corse, colonie de la métropole, ou bien simple région délaissée, aux indicateurs économiques - hors tourisme- tous drastiquement en deça du continent, est certes évoqué par la bouche d'un des activistes interrogés, toujours est-il que Les Anonymes semble assez peu se concentrer sur les enjeux sociologiques du problème, épineux. Peur de mouiller, se contenant de faire trempette pour la forme, et ne pas trop diaboliser les corsaires de la gâchette ? En tout cas, un point quasi-aveugle du récit qui laisse une amère sensation de frustration pour qui espérait, au moins aux entournures, une évocation des points sensibles. Cette dé-politisation du sujet, braqué sur les biceps polar-oïdes sur lesquels je reviendrais, se double, qui plus est, d'un choix assez étonnant de ne pas traduire les séquences parlées entre corses. Respect du matériau linguistiques, qu'il ne faudra salir d'une impureté gauloise ? Le tout laisse surtout la sensation que Schöeller balaie d'un revers de la main les revendications, politiques, économiques ou identitaires des Anonymes : ces choses-là, seuls les corses peuvent le comprendre, semble claironner cet étrange choix linguistique.


Si le film évacue donc à peu près la question corse en tant que telle, il semble se focaliser (à outrance) sur l'aspect procédural. Certes, dans le genre du film d'interrogatoires, pas loin de virer à l'exercice du film de procès, le tout est plutôt réussi : à l'exception d'un Amalric en roue libre imitant l'accent corse de façon un peu ridicule et jouant sans grande crédibilité les gros bras, l'ensemble du casting est excellent (mention spéciales aux acteurs anonymes corses), et la tension vraisemblable. On pourra tout de même largement discuter de la longueur du film qui, si elle vise à rendre le caractère étouffant des ces 96 heures de garde-à-vue, mais n'est pas sans redite, à force ("tu veux quoi ? que ta femme prenne 20 ans et que tes enfants aillents à la DASS?" répété à l'envi...). Par ailleurs, l'idée centrale consiste à illustrer le dilemme du prisonnier : l'asymétrie d'information, le fait de menacer de recouper les déclarations avec d'autres prévenus, aboutit immanquablement à faire craquer les interrogés. Un classique du polar, ici étiré sur plus d'une heure, la moitié du temps aurait largement suffit à bien faire piger l'idée (cf Roubaix, récemment). Mais la longueur du tout, finit malgré tout par dévoiler un arrière-plan moins reluisant, à brouiller les lignes : sans manichéisme, le filme semble tantôt ressentir le devoir de justice des policiers, prêts à tout pour débusquer les responsables, de l'autre, à faire ressentir la dignité tacite, l'humanité inébranlable des corses, molestés et humiliés dans plusieurs séquences qui instillent un doute quant à la méthode policière : violence et menaces nécessaires, ou dérapages inhumains et contre-productifs ?


La dernière partie du film met en lumière ce doute et se révèle plus intéressante : alors que l'interrogatoire a fait ressortir le nom d'Yvan Collonna comme assassin, les anonymes se rétractent. Choix politique, honorifique, communautaire ? Ou bien, et le film ne tranche pas définitivement, conséquence d'une garde à vue menée en roue libre et accouchant de contre-vérités sordides, de noms lâchés en pâture au hasard, de pistes policières confirmées sous la pression par les supposés coupables ? Bien sûr, le tout s'intéresse plus à des questions de procédures ayant peu à voir avec la particularité corse, mais a le mérite de soulever, sous ses allures de polars tendax, quelques lièvres, et pas des moindres (égratignant au passage, Sarkozy le parvenu se saisissant de la gloriole de l'affaire pour, lui, ne surtout pas rester Anonyme).

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le 28 avr. 2021

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