Les Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne par Crockett

1981. Les Aventuriers de l'Arche Perdue déferle sur les écrans mondiaux, Spielberg réactualisant à force de labeur, de rigueur narrative et d'ingéniosité formelle le spectacle cinématographique américain.

1983. Hergé, créateur de Tintin, emblème de la bande dessinée européenne moderne disparaît. Quelques mois avant, une idée devenue certitude s'entérine dans son esprit; le jeune reporter belge, héros de papier ayant traversé plus d'un demi siècle ne peut devenir personnage de cinéma que sous le regard attentionné et compréhensif d'un homme, Steven Spielberg. C'est cette réalité que Fromental, scénariste des Aventures d'Hergé immortalise par le texte, de concert avec le dessinateur Stanislas. « À ses yeux, il était le seul capable de réussir le passage à l'écran! D'immortaliser le personnage et l'œuvre! ».



Il aura fallu près de trente ans pour que le rêve d'Hergé, homme d'encre, transmis à Spielberg ne devienne réalité. Premier volet d'un diptyque annoncé dès l'amorce du projet, Le Secret de la Licorne condense à lui seul près de trois albums de la bande-dessinée d'Hergé (Le Crabe aux Pinces d'Or, 1941, Le Secret de la licorne, 1943 et Le Trésor de Rackham le rouge, 1944) ceci dans le but d'établir de solides fondations au service d'une nouvelle saga cinématographique. L'amour commun d'Hergé et de Spielberg pour l'histoire – passée, présente et future – transparait dans cette adaptation, véritable pas de deux au-delà de toute conception physique et réelle établie. Car Le Secret de la Licorne, recourant au procédé cinématographique de la performance capture, tend à reconstituer un univers entre ciel et terre, sorte de songe poétique où inventivité, action rocambolesque et personnages hauts en couleurs s'articulent dans le but d'émerveiller le spectateur d'un XXIe siècle désenchanté.



L'œuvre initiale fonctionnait de même, à la fois exutoire aux évènements et exactions les plus terrifiantes d'un monde amorçant un tournant rapide vers une modernité encore mal maitrisée, tout en étant empreint d'une tonalité géopolitique particulièrement acerbe. À la manière d'un Tezuka, Hergé a développé par le biais de son personnage phare, un nouveau visage, une nouvelle identité de la bande-dessinée européenne. L'enjeu conscient de cette adaptation par Spielberg est au moins aussi grand que celui d'Hergé en son temps, alors que le cinéma amorce une métamorphose équivalente à ce que fut le parlant via l'intronisation de nouvelles technologie telles que la 3D ou la motion capture. S'imposer comme modèle fondateur d'une nouvelle façon de faire du cinéma, tel est l'enjeu du Secret de la Licorne. La performance capture, motion capture évoluée et méthode de création filmique à part entière trouve sa raison d'être dans ce projet, encadrée par l'un des réalisateur contemporain les plus talentueux.



Passerelle entre deux mondes, le film l'est également en terme de temporalité. Le jeu d'aller-retour est récurrent, le passé constituant la matrice des tourments précipitant les personnages dans l'action. Les transitions vers ce second niveau d'onirisme sont l'occasion pour le cinéaste d'une mise en abime du cinéma, des apparences, à travers le prisme déformant d'un objectif de caméra protéiforme. Hautement spielbergiens, ces éléments en disent long sur le caractère somme du film, indubitable aboutissement de près de quarante ans de carrière. Tintin s'inscrit dans la lignée des plus grands films d'aventures du cinéaste, d'Indiana Jones à Jurassic Park, se réinventant perpétuellement tout en conservant une identité visuelle propre – par exemple l'anticipation de l'émerveillement ou de l'effroi par un gros plan appuyé retardant la découverte d'un spectateur fantasmant ce qu'il s'apprête à voir. Méthode et technologies, dont la 3D appliquée à la performance capture décuplent la richesse formelle des environnements, les possibilités techniques, pour aboutir à un maelström cinématographique éblouissant. Spielberg s'ouvre un nouveau champ créatif à même de servir ses ambitions filmiques les plus complexes et intenses. Les limites s'effacent au profit d'un spectacle total, toujours virtuose sans pour autant sombrer dans la grandiloquence. L'idée forte du Secret de la Licorne est celle d'un chaos fantasmatique contenu, maitrisé par un cinéaste refusant la carte de l'ostentation.



Adaptation rimant avec réappropriation, l'homme de cinéma fait montre de bienveillance dès les premières minutes du film, le générique – dans la lignée d'Arrête-moi si tu peux – offrant à lui seul et avec une grande sobriété un abrégé des aventures du héros. La passation intervient alors que le portrait de Tintin est croqué sur un marché aux puces par un dessinateur anonyme. Deux sphères se rencontrent et s'entrecroisent, celle du dessin et celle de l'écran. L'image s'inverse, le nouveau héros de cinéma influençant le créateur original sur papier. Hergé est là, observant Tintin et, s'il disparaît alors que s'amorce l'aventure, son esprit plane sur l'ensemble du film. Les trois licornes, non créatures de rêve mais ici créateurs de rêve sont réunis. Hergé, Sipelberg et Jackson. Alors, de la lumière de la bande-dessinée vient la lumière du cinéma et resplendit l'enchantement du spectateur.
Crockett
8
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le 31 oct. 2011

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