Les Contes de Terremer
6.2
Les Contes de Terremer

Long-métrage d'animation de Gorō Miyazaki (2006)

Il me semble que cracher son dégoût poli sur la direction de Goro est devenu un sport facile autant d'ailleurs que la comparaison entre lui et son père comme si finalement on se trouvait face à une seule et même personne. Pourtant, je pense sincèrement qu'on est là devant son meilleur film, sa première tentative certes, mais bien mieux que celui qui viendra par la suite. Mais bon, essayons un peu de comprendre ce qui a indubitablement merdé.


Déjà Terremer, à la base de la base c'est une trilogie de bouquins dont l'histoire est rondement menée entre contemplation et quêtes permanentes de l’Équilibre. Grossièrement, on suit la jeunesse et la vie de l’Épervier, un chevrier devenu mage parcourant éternellement les différentes régions d'un continent entre îles solitaires et mers infinies. La magie fonctionne en connaissant le Vrai Nom des choses mais doit être utilisée à bon escient afin de ne pas perturber l'équilibre style effet papillon. On est face à une œuvre dense possédant une narration digne de Balzac. Plus de descriptions, encore des descriptions, toujours des descriptions. Il n'y a pas grand chose d'épique, très peu de combat dantesque, bref, on peut facilement décrocher de l'histoire, sachant que les livres n'ont, excepté Épervier, peu de personnage récurrent et semblent raconter à chaque fois une aventure très différente.


Donc évidemment en deux heures, on n'a pas vraiment le temps d'expliquer pendant des heures la sécularité de certaines îles ou le fonctionnement de la magie dans cet univers. Goro a en plus fait le choix du dernier tome qui est à mon avis celui dans lequel il y a effectivement le plus d'action mais qui souffre cruellement de précision, ce qui est tout à fait évident quand le "background" a déjà été traité dans les précédents. Malheureusement c'est aussi ce type de maux qui déconnent un peu dans le film et d'autant plus que ce n'est que deux heures, c'est-à-dire rien du tout, comme si le Seigneur des Anneaux avait été résumé à un court-métrage. Donc nécessairement, on ne pouvait pas s'attendre à une adaptation complète de ce qu'est l'histoire originale mais personnellement, je pense que l'essentiel y est.


Terremer dans sa version écrite comme je le disais plus tôt est un voyage où le lecteur se retrouve en touriste marin contemplant la beauté des paysages à l'instar les personnages. Je ne pense pas que l'on puisse apprécier le livre, comme le film, si l'on n'accepte pas de se laisser inviter dans la lenteur, le frisson de la découverte et l'effroyable inconnu, bref, il faut se mettre dans une posture de spectateur un peu forcée et l'on voit très bien que c'est exactement ce que Goro a tenté de retranscrire à travers le personnage d'Arren, souvent exalté par des petites choses du quotidien traduite par des plans large et une lenteur dans le montage lorsqu'il s'agit des décors absolument magnifiques.


Mais je peux comprendre parfaitement que le film paraisse brouillon par endroit, surtout parce que même en ayant lu le livre récemment, j'ai ressenti parfois cet étrange sentiment d'être larguée là, au milieu du film sans vraiment comprendre certain enjeux des personnages. Exemple typique: Tenar.


Dans le livre Tenar est en fait la réincarnation d'une prêtresse vouée à rendre un culte au morts dans une grande nécropole sacrée dont elle est en définitive la cheffe suprême et la prisonnière. Épervier y cherchant un anneaux légendaire dans les cavernes va construire une relation étrange avec cette adolescente entre haine et compréhension qui d'ailleurs constitue le tome 2. Dans le film, c'est un personnage sans nuance qui remplit les vides et qui fera une minuscule référence de rien du tout par rapport à son passé. Je ne me rappelais d'ailleurs même pas de son apparition, alors que j'adorais ce film étant enfant.


Je pense là que c'est le plus gros défaut du scénario: les personnages à peine développés. En même temps, je comprends la démarche de se concentrer sur l'action et moins sur les explications à rallonge du contexte géo-politique mais d'un autre côté, je me dis que finalement les personnages sont plutôt creux malgré les tentatives de les rendre un peu moins vide. Mais en définitive, on n'en saura pas plus sur eux, sur leur vie passée, leurs aspirations. Il n'y aura que matière à faire avancer la narration.


Mais pourquoi 10, pourquoi le coup de cœur ?


Et bien déjà parce que finalement, j'ai découvert le bouquin que j'ai dévoré en trois jours et puis parce que quelque part je trouve que ce film se démarque des autres du studio. Je l'ai trouvé à la fois manichéen et moins "fable écologique avec un personnage féminin complètement badass" et à la fois plus critique, plus poétique et philosophique. J'ai pour opinion que quelque part, c'est le message, la petite morale de fin qui fait toute la qualité de l’œuvre. Un message tellement martelé vers la fin que bon, voilà, le scénario semblait avoir été écrit pour aboutir exactement à cette scène, occultant tout le reste certes, mais soyons indulgent pour un premier film, c'est ambitieux et assez loin de la "ligne éditoriale" de Ghibli. Subjectivement, j'aime plus souvent l'imperfection éhontée que l'assurance artistique et commerciale quand il en vient à discuter d'art. Oui, j'aime ce petit groupe indépendant perdu dans les abysses sonores de Soundcloud ou ce court-métrage amateur au détours d'une vidéo tout aussi obscure.


Mais bref, je pense qu'il faut lire le livre pour vraiment comprendre l'univers, qui fera soudainement sens car le lecteur averti saura reconnaître les petits détails glissés un peu partout à son attention. Il est évident que Goro sait de quoi il parle mais je pense que l’œuvre originale est faite ainsi qu'elle ne peut pas ne pas s'accompagner de précision somme toutes secondaires mais cruellement importantes pour bien saisir le délire.


Au risque de tomber à plat ventre dans les clichés: Lisez le livre d'abord !

Thepunkowl
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le 22 avr. 2018

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Engy Near

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