Bien que le numérique soit de plus en plus utilisé pour tourner, souvent plus pour des questions pratiques ou de budget que pour des raisons esthétiques, il existe encore quelques poches de résistances. On pourrait diviser les afficionados de la pellicule en deux catégories. Il y a les réalisateurs amoureux de cinéma qui aiment le côté organique de l'outil ou qui tout simplement veulent continuer de travailler avec les techniques utilisées depuis l'aube du cinéma. Mais il y a aussi les fétichistes de la pellicule pour lesquels le support est un véritable instrument au service d'une esthétique tout à fait particulière, la technique cinématographique se rapprochant alors de la chimie. C'est évidemment dans cette catégorie qu'on peut classer Bertrand Mandico aux côtés d'autres grands plasticiens (qui manipulent donc de la matière et pas des pixels) comme Guy Maddin ou Peter Tscherkassky.


Le titre du premier long métrage de Mandico laisse penser à une adaptation du livre éponyme de Burroughs. Cela avait quelque chose d'inquiétant quand on connaît le style sur-découpé (voire incompréhensible) de l'écrivain, qu'on pouvait imaginer adapté en court mais difficilement tenir sur 1h45. L'adaptation est en fait très libre et seul quelques rares éléments clefs sont gardés, au profit du développement d'une trame narrative originale rendant hommage aux récits d'aventures et de piraterie. Le récit, cinq garçons violents envoyés sur une île étrange dans le but d'être rendu plus obéissants, est finalement surtout un pretexte pour un développement formel entre onirisme et fantasmes troublants avec effacement des genres. L'équivoque commençant évidemment par le fait que les cinq garçons soient incarnés par cinq actrices.


Bateau, île, aventure, mais attention, on est tout de même assez loin de Jules Verne, et il va sans dire que l'univers Mandico n'est pas forcément à mettre devant n'importe quelle paire d'yeux. Le style et chatoyant et scintillant mais dans la veine de l'esthétique homo-érotique de James Bigood ou de Fassbinder (Querelle cité explicitement plusieurs fois) voire lorgnant du côté du cinéma SM japonais. La musique n'est pas en reste puisqu'on navigue entre musique référencée (Nora Orlandi par exemple) et nappes atmosphériques électro. Les décors et les trucages sont vivants à l'image du traitement de la pellicule avec une place importante réservée aux corps, aux fluides et à une nature luxuriante. En plus de flatter la vue et l'ouïe, le film en devient donc même presque palpable.


Là où le pari formel de Mandico est réussi, c'est qu'il arrive à produire un film à la fois hyper-référencé, et donc une perle pour cinéphile, mais qui développe en même temps un univers fantasmagorique tout à fait personnel - et totalement raccord avec sa collection de courts métrages - qui peut permettre au néophyte qui accepte le voyage de se laisser transporter dans un univers unique et déroutant.

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le 16 févr. 2018

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yhi

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