Martin Scorcese, réalisateur qu'on ne présente plus, met en scène, un an après l'incontournable Les Affranchis, un nouveau film avec Robert De Niro auquel il donne, pour la première fois de leur collaboration, le rôle de l'antagoniste. Les Nerfs à vif, remake d'un film noir des années 50 porté par les charismatiques Gregory Peck et Robert Mitchum, engage à ses côtés le non moins charismatique Nick Nolte, flanqué des belles Jessica Lange et Juliette Lewis qui camperont les rôles respectifs de mère et fille.


On peut se questionner, dès l'introduction, sur l'intérêt de ce remake : passer un film culte sous la houlette du modernisme et de ses excès, le mettre à la page du gore et des nouveaux effets clipesques d'une mise en scène anti-conformiste du fait qu'elle est contre-esthétique est-il valable? D'aucun avancerait que ce n'est pas suffisant pour proposer une expérience neuve, relecture d'un grand film proposée par un grand réalisateur.


Scorcese, tout expérimental qu'il est, tente beaucoup dans ce film : il tente de faire du cinéma grand public en basculant du côté des effets horrifiques simples et, pourrait-on dire, vulgaires. Zooms, filtres d'images, travelings propres à Scorcese qu'il répète à l'excès jusqu'à presque entièrement en composer son affrontement final, toute une ribambelle de poudre aux yeux jetée à la face d'un public en pleine crise d'épilepsie.


Sans dire que c'est moche, il faut au moins reconnaître que c'est désagréable : Scorcese, toujours aussi talentueux dans la composition de ses cadrages, aura beau nous gratifier de quelques jolis plans larges afin de laisser nos yeux se reposer, ce ne sera plus suffisant, passé un moment, pour rendre le tout comestible. Les Nerfs à vif va de mal en pis et pousse toujours plus loin sa laideur visuelle et stéréotypée, incarnation condensée des clichés visuels de son époque (du moins, des films qui lui succéderont des années plus tard).


On peut ainsi lui attribuer d'être précurseur : à l'époque où l'on était encore sur une redit de l'esthétique sombre et explosive des années 80, Scorcese aura compris que la nouvelle génération de spectateurs nécessitait qu'on leur donne une nouvelle génération de thrillers psychologiques, plus en vogue avec l'air du numérique approchant, d'un côté similaires aux bouillasses infâmes de l'esthétique MTV, entre le clip et les montages syncopés.


Et l'on a beau sentir qu'il s'amuse comme un dingue en innovant, cela ne rend pas son oeuvre meilleure; d'autant plus que son écriture oscille, à l'image de son esthétique, entre le médiocre et le correct. Plombé par le manichéisme de sa figure meurtrière, Les Nerfs à vif selon Scorcese s'empêtre dans une mythologie biblique chère à l'artiste mais alourdissant particulièrement le récit, qui entre dès lors dans des stéréotypes de film d'épouvante à caractère dérangeant des plus caricaturaux (avec supplément tatouages bibliques sur le corps).


De Niro a beau être talentueux comme à son habitude (même si l'on sent qu'il commence à forcer le trait de ses expressions de visage iconiques), il incarne un cliché de méchant et doit s'en sortir avec des répliques certes bien écrites, mais trop répétées pour sonner vrai. Théâtral, on sent plus la performance d'acteur que la folie du personnage, à l'image de De Niro lui-même dans les années suivantes, lorsqu'il devra reprendre des rôles de mafieux ou de mentor dans des productions bas de gamme.


Là où il dérange pour les mauvaises raisons, c'est également dans sa relation avec le personnage de Juliette Lewis, fille de Nolte et Lange un poil naïve qu'il semble contrôler en bon pervers narcissique manipulateur qu'il est; si la première partie de leur relation est bien développée, avec un effort fait sur le malaise créé par leur pseudo relation amoureuse perverse, son échéance viendra ruiner tous les efforts entrepris avec une attaque faîte sans autre explication que le deus ex machina de la fille qui sauve la mère.


Paradoxalement, c'est dans la psychologie de ses personnages qu'il pèche : alors qu'il devait mettre un point d'honneur à s'attarder sur les réactions, les motivations et les peurs de ses personnages, il se contente de multiplier les scènes d'action irréalistes, allant même à l'encontre de la portée à échelle humaine de son suspens; De Niro finissant rôti comme Terminator ne l'aidera pas, vous concéderez bien, à retrouver sa part de crédibilité manquante.


D'autant plus qu'il se conclut de façon absolument hystérique, irréaliste et brutale, versant dans un excès de violence complètement irraisonné et plus proche de la série b généreuse que de l'oeuvre à suspens présentée jusque là. Dommage que cette dernière partie, celle qu'on retient finalement le plus du fait qu'elle régit toute l'intrigue, abandonne toute l'habileté et la dureté du combat psychologique de la première heure et demi pour virer dans le spectacle grand public béat, gratuit, à la limite du ridicule.


Scorcese ne fit pas, avec Les Nerfs à vif, du cinéma mainstream : non, il a fait n'importe quoi et gâcha, bien volontiers, un grand potentiel de thriller horrifique psychologique. A l'image de sa fin, bateau.

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le 14 nov. 2019

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FloBerne

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